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Des mondes de musiques

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TRI YANN

CINQUANTE ANS DE SCÈNES

Propos recueillis par Philippe Cousin / Photos Dominique Le Guichaoua

Les Tri Yann An Naoned (Trois Jean de Nantes) devenus entre-temps Tri Yann, ont bourlingué un peu partout en Bretagne, en France, et parfois même à l’étranger, depuis une cinquantaine d’années. Durant tout ce temps ils ont produit une quinzaine d’albums studio. Alors qu’ils ont entamé un Kenavo Tour (tournée d’au revoir), nous avons voulu en savoir plus à ce sujet en interrogeant Jean Chocun, guitariste et chanteur du groupe.

Pourrais-tu revenir brièvement sur les grands moments qui ont jalonné vos cinquante ans de carrière ?

J’ai rencontré Jean-Paul (Corbineau) par le biais d’un copain commun, Paul-André Mabit, alors que nous étions en classe de seconde. Paul-André chantait et nous l’accompagnions avec nos guitares et nos voix. En 1969, Jean-Paul m’a fait rencontrer Jean-Louis (Jossic) et ce fut le début d’une complicité jamais démentie. Nous avions monté un trio sur la base d’une flûte, deux guitares et nos voix. Alors que Jean-Paul et moi avions un répertoire basé sur les chansons de Graeme Allwright ou Hugues Aufray, Jean-Louis nous a fait prendre conscience que la musique bretonne recélait un fond traditionnel très riche et qu’il serait plus à propos de s’en servir comme base d’expression.

A l’époque, nous avions tous un « vrai » travail et l’idée de faire de la scène et de la musique notre métier n’était même pas envisageable. Notre première apparition en public a eu lieu lors d’un bal breton à Nantes où nous avions interprété quelques airs traditionnels que nous avions arrangés. C’est à cette occasion qu’un ami a eu l’idée de nous surnommer les « Tri Yann an Naoned » puisque nous nous prénommions tous les trois Jean. Diverses opportunités nous ont fait rencontrer Bernard Baudriller qui s’est joint à notre trio avec sa flûte traversière, son violoncelle et sa contrebasse.

Puis lors d’un concert au foyer des jeunes travailleurs à Nantes, nous avons croisé Gilles Servat qui nous a proposé d’enregistrer un disque pour le jeune label breton Kelen. Ce premier disque ayant été repéré par un directeur commercial de Phonogram, nous avons été diffusés sur les radios nationales puis invités à des émissions de télé. Et, grand moment, nous sommes passés à l’Olympia en première partie de Juliette Gréco en même temps que des artistes débutants : Philippe Chatel ou Yves Duteil. Il nous a alors fallu prendre la décision de quitter nos métiers respectifs et le risque de tenter de vivre de notre passion.

Il serait beaucoup trop long d’énumérer tous les moments forts qui ont jalonné notre itinéraire mais citons en vrac le spectacle Le Vaisseau de Pierre, les nuits celtiques à Bercy et au Stade de France, les grands festivals tels le Festival Interceltique de Lorient, les Francofolies, et toutes ces belles rencontres d’organisateurs des milieux associatifs, ceux qui font vivre la culture au quotidien.

Qu’éprouves-tu de savoir que vous êtes le groupe le plus ancien de l’hexagone et comment avez-vous réussi à fédérer un public aussi large ?

En premier lieu ce qui prévaut c’est l’étonnement car pendant les vingt ou trente premières années nous pensions que l’existence du groupe serait caduque. Mais, comme nous avons su nous entourer de musiciens et de techniciens compétents et impliqués, les années se sont enchaînées dans un esprit professionnel que nous avons développé avec rigueur. Et puis à présent nous pouvons ressentir une certaine fierté car ça n’est pas rien que d’avoir traversé bientôt cinquante années sans crise majeure, sans fâcherie et en conservant le même objectif partagé entre la scène et l’expression musicale fortement marquée par l’identité bretonne. Nous avons su rester très proches du public en n’oubliant jamais que c’est le public qui assiste à nos concerts qui est le seul véritable juge de notre démarche artistique et musicale. On aime ce public… qui nous le rend bien.

Vous avez depuis pas mal d’années enregistré des albums avec un thème central. Pourquoi cela ?

Même si nous revendiquons le fait de nous classer dans la « variété bretonne » nous avons vite pris conscience que l’accumulation de chansons disparates avait pour inconvénient de manquer d’unité d’autant que nous n’avons jamais produit de « singles » mais toujours des « LPs ». Le choix d’un thème pour chaque disque implique une homogénéité de son et une logique d’enchainement des titres… et de ce fait donne matière à la construction logique d’un spectacle, ce qui au bout du compte est notre moteur essentiel.

Vous composez des chansons, textes et musique. Qui écrit et qui compose dans le groupe et où trouvez-vous l'inspiration ? Et quelle sont vos influences musicales ?

Tout en continuant à interpréter des thèmes traditionnels, nous avons pris le parti de composer et écrire de plus en plus souvent nos propres chansons en respectant autant que faire se peut les bases traditionnelles. Le principe même de la tradition étant son évolution. Le choix des thèmes est collégial, la plupart des textes sont écrits par Jean-Louis ce qui n’interdit pas à l’un ou l’autre de proposer ses propres paroles. Dans la mesure où l’ensemble du groupe est d’accord, c’est adopté et aucun d’entre nous n’en tire gloire ni profit particulier. C’est une démarche d’ensemble à laquelle nous tenons et qui est très probablement une des valeurs ayant assuré la pérennité de Tri Yann. Lorsqu’il s’agit de titres en langue bretonne nous nous faisons coacher par des gens compétents tels Gilles Servat ou Roland Mogn. Quant aux musiques, quand nous sommes en période d’élaboration d’un album, chacun planche de son côté et propose des maquettes aux autres. Il faut parfois procéder à des coupes sombres et il y a évidemment des déceptions, mais personne n’en prend ombrage, l’essentiel étant d’aboutir à un ensemble cohérent. Concernant les trois membres de base, on parlera du folk et de la tradition bretonne et celtique. Mais ensuite viennent se greffer les influences jazz, baroques, classiques, pop, rock etc… instillées par chacun des huit membres actuels du groupe.

 

Un nouvel album est sorti il y a quelques semaines. Peux-tu nous en dire quelques mots ? Est-ce un album d’adieu définitif à la scène ? Et uniquement à la scène ?

Cet album qui regroupe CD et DVD est réellement un adieu à la scène. Mais il ne ponctue pas définitivement notre démarche musicale. Nous avons un autre CD en cours d’élaboration. Il devrait être achevé depuis au moins un an si des problèmes indépendants de notre volonté n’étaient venus mettre un frein à ce projet. Nous ne l’abandonnons pas et, dès lors que nous passerons moins de temps sur les routes, nous pourrons prendre le temps de le peaufiner. Concernant ce dernier CD-DVD, les choix ont été simples puisqu’ils correspondent à l’équilibre du spectacle tel que nous le jouons actuellement. Nous avons donc puisé dans notre répertoire ancien et actuel pour présenter au public une palette non exhaustive de ce qui nous fait plaisir d’interpréter. Bien sûr certains seront déçus de ne pas y retrouver telle ou telle chanson qui leur plait particulièrement, mais il faut bien faire des choix pour parvenir à un équilibre, notamment en scène. L’album démarre sur Far Away from Skye  extrait de notre CD La Belle Enchantée et on termine par Je m’en vas, tout à fait de circonstance, en passant par les incontournables Si Mort a mors, La Jument de Michaud, Le Soleil est Noir, Les Prisons de Nantes… et aussi l’inédit Les rives du Loch Lomond qui a fait l’objet d’un clip réalisé par Konan Mevel et maintenant visible sur Internet. Comme l’album est basé sur un éventail de nos chansons il a fallu, tout en en conservant l’esprit original, moderniser les harmonisations et les faire correspondre à la formule musicale actuelle du groupe. C’est ainsi par exemple que Les Filles des Forges sont devenues très rock’n roll.

Comment vous situez-vous par rapport à la tradition ?

Nous faisons de notre mieux pour respecter les bases traditionnelles mais nous adaptons les harmonies et les textes en fonction de nos goûts. Nous donnons dans notre production, notre propre interprétation de ce que la tradition nous met à disposition tout en considérant que nous ne détenons aucune vérité et que d’aucuns peuvent voir les choses de manière différente.

Que dites-vous aux gens qui vous dénigrent en disant que ce que vous faites est ringard ou que vous ne respectez pas la tradition ?

S’il fallait écouter les esprits chagrins on n’avancerait jamais. On ne peut pas plaire à tout le monde mais franchement au bout d’une cinquantaine d’années de carrière si les critiques négatives avaient été étayées ça se saurait.

Rappelons aux traditionalistes extrémistes et bornés que la première tradition bretonne a toujours été la création avec hardiesse : emprunter le violon aux Italiens, l’accordéon aux Autrichiens, le treujen-gaol au baroque classique, faire des danses de cour des danses populaires, aller chercher la gavotte en France, la scottish et la polka là où l’on sait…  La tradition pure et immuable est un fantasme. Laissons donc aux aigris leur petitesse d’esprit.

Comment vois-tu l'évolution de la culture bretonne (musicale et autre) ? Et que pensez-vous de l’état artistique de la Bretagne d’aujourd’hui par rapport à ce que vous avez initié en innovant au fil de ces cinquante dernières années ?

Le contexte a beaucoup évolué depuis les années 70 qui ont vu éclore cette génération de chanteurs à forte identité à laquelle nous appartenons. Enregistrer un disque était à l’époque un évènement, voire même un privilège. Maintenant tout un chacun peut disposer de son home-studio et diffuser sur Internet ses propres créations sans passer par le couperet des directeurs artistiques et des maisons de disques. Cela laisse donc un grand champ de création possible.

Par ailleurs les qualités musicales des jeunes, souvent issus des conservatoires ou écoles de musique, sont largement plus riches que ne l’étaient les nôtres. Cela vaut pour toutes les autres formes d’expressions qu’elles soient picturales (peinture, sculpture, broderie…) ou du domaine de la danse, traditionnelle ou pas, et même en matière culinaire. Dès l’instant où l’identité bretonne est affirmée sans conteste, tout espoir est permis et les perspectives sont immenses.

Quelle image donnez-vous de la musique bretonne à l’extérieur de la Bretagne, vous qui avez tourné et joué un peu partout en Europe ?

En effet nous avons un peu tourné hors des frontières hexagonales : Suisse, Belgique, quelques incursions en Italie et Espagne… Danemark, Louisiane, Québec, Géorgie… Mais les plus grosses tournées à l’étranger ont été faites en Allemagne où nous a été remis en 1983 le prix de la critique de disques Preis der Deutschen Shallplattenkritik (équivalent du prix de l’Académie Charles Cros). Nous retournons d’ailleurs à Karlsruhe le 29 février et à Stuttgart le 1er mars 2020. Donc on espère que l’image que nous donnons est respectable. Nous savons que nous avons généré des vocations chez de jeunes interprètes qui prennent conscience de leur patrimoine culturel local. Bien souvent on nous écrit qu’après avoir assisté à l’un de nos concerts, l’envie est venue de découvrir la Bretagne… et parfois même de s’y installer.

Nous ne nous posons pas en ambassadeurs de la culture bretonne puisque nous ne livrons que notre vision personnelle des choses mais force est de constater que notre démarche est plus positive que sujette à caution.

Comment allez-vous gérer le fait de ne plus faire de scènes, ce qui selon tes propres termes était une composante essentielle de votre activité ?

Il est évident que nous allons ressentir un manque mais il faut savoir prendre les bonnes décisions au bon moment. Et puis chacun va profiter d’autres opportunités, musique avec d’autres musiciens, peinture, écriture, voyages, sport, montagne, famille, coin du feu. Tout est envisageable en fonction des goûts personnels.

Quels sont vos projets alors que vous êtes sur votre Kenavo Tour ?

Ça va être assez épuisant physiquement, donc on va faire en sorte de rester concentrés sur l’essentiel qui est la prestation scénique. Souvent ce qui est très prenant, c’est l’après concert puisque nous allons quasi-systématiquement rencontrer nos spectateurs et converser un peu avec eux. Notre souhait est de prendre énormément de plaisir lors de ces derniers concerts et de savourer chaque moment avec délectation.

Discographie :

1972 : Tri Yann an Naoned

1973 : Dix ans, dix filles

1974 : Suite gallaise

1976 : La Découverte ou l’Ignorance

1978 : Urba

1981 : An heol a zo glaz / Le soleil est vert

1983 : Café du bon coin

1988 : Le Vaisseau de Pierre

1990 : Belle et rebelle

1995 : Portraits

2001 : Le Pélégrin

2003 : Marines

2007 : Abysses

2011 : Rummadoù (Générations)

2016 : La Belle enchantée

 

Dates 2020 de la Tournée Kenavo :

10 janvier Vierzon

17 janvier Laval

25 janvier Ludres (Nancy)

26 janvier Dijon

1 février Limoges

2 février Le mans

8 février Angers

9 février Caen

15 février Clermont-Ferrand

19 février Lyon

29 février Karlsruhe (Allemagne)

1 mars Stuttgart (Allemagne)

6 mars Lille

7 mars Tours

11 mars Nantes

14 mars Saint-Grégoire

15 mars Brest

22 mars Paris (L’Olympia)

28 mars Nantes