RÉFUGIÉS ? REFUSÉS ?
S’il était encore là pour le chanter...
Etienne Bours
En 1982, Leny Escudero a écrit et chanté une chanson intitulée « « Le siècle des réfugiés ». S’il avait su que ce siècle en était plusieurs…, s’il était encore là pour le chanter…
Il y chantait notamment :
« Des humiliés, des sans logis qui tremblent
Les oubliés aux mal partis ressemblent
Ils sont toujours les bras ballants
D’un pied sur l’autre mal à l’aise
Le cul posé entre deux chaises
Tout étonné d’être vivant
Ils sont souvent les en-dehors
Ceux qui n’écriront pas l’histoire
Et devant eux c’est la nuit noire
Et derrière eux marche la mort
Ils sont toujours les emmerdants
Les empêcheurs, les trouble-fêtes
Qui n’ont pas su baisser la tête
Qui sont venus à contretemps
Dans tel pays c’est mal venu
Venir au monde t’emprisonne
Et chaque jour on te pardonne
Puis on ne te pardonne plus… »
Puis on te pardonne plus… On en arrive alors à ce qu’on voit ou à ce qu’on entend chaque jour : refuge et refus, ces deux mots qui se ressemblent et se téléscopent sans cesse. Ressort dramatique de la langue française, ressort tendu qui vous renvoie d’où vous venez, avec violence bien souvent. Ce refus de refuge, mélange de peur, de méconnaissance et parfois de haine, se nourrit de fantasmes. Nous sommes dans des pays qui devraient accueillir des milliers ou dizaines de milliers de ces âmes errantes et la foule tremble, se voile la face et oublie qu’ils sont des millions en d’autres régions, entassés dans des camps de misère à attendre, attendre et encore attendre. Beaucoup, sans doute, n’attendent plus rien, se contentant de vivre au jour le jour hors du danger qu’ils ont fui. Si la mort ne marche plus derrière, il n’y a pour autant rien devant.
Mais la foule dans son refus se contente souvent d’écouter et de croire ceux qui prétendent parler en son nom. Comme cette ministre française des Affaires Européennes qui parlait des migrants se livrant à une sorte de « shopping de l’asile » comme s’ils choisissaient leur destination dans un catalogue de voyages organisés. Comment oublier le nom de cette ministre ? Elle s’appelle Loiseau, est incapable d’envol et n’hésite aucunement à couper les ailes aux autres.
Entendre et écouter sont pourtant, peut-être bien, les deux maîtres mots d’une avancée plus sereine au sein de ce labyrinthe des réfugiés.
Mon plus cher ami, le plus ancien aussi, a travaillé plus de trente ans au UNHCR (Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés). Il a occupé divers postes et responsabilités sur le terrain et a acquis une expertise dans le domaine des droits des réfugiés et la protection des droits de l’homme au niveau international. Matières complexes qu’il continue d’enseigner en maints endroits. Il a vu les aberrations et abominations des énormes camps de réfugiés en Afrique, en Amérique Centrale, en Asie…, il a étudié les situations sur le sol européen et n’a de cesse de vouloir les améliorer alors qu’il pourrait profiter de sa retraite et regarder dans une autre direction. Lors de notre dernière conversation, je lui parlais de ces initiatives lancées par ce qu’on appelle des opérateurs culturels qui tentent de tisser des liens entre les réfugiés arrivés sur nos terres et les populations locales. En me limitant à la musique, je citais Muziekpublique à Bruxelles, cette organisation indispensable qui rassemble musiciens et chanteurs par-delà les préjugés et les jugements à l’emporte-pièce.
Un premier spectacle a vu le jour sous le titre Refugees for refugees. Un CD est sorti dans la foulée, le suivant est en préparation. Les organisateurs qui tentent autre chose qu’un remplissage de salle sur une tendance dite actuelle, accueillent ce concert. Question de présenter aux publics (au pluriel parce que très différents selon les lieux) chanteurs et instrumentistes venus de Syrie, Iraq, Tibet, Afghanisatn, Pakistan… Venus chez nous, éparpillés entre les villes belges et parfois voisines, obligés d’apprendre d’autres langues, obligés de se refaire une vie et une carrière. Les Syriens, par exemple, étaient tous maîtres de leur instrument ou de leur voix dans les prestigieuses institutions d’Alep. Je parlais donc de cela en devisant avec mon ami sur un chemin de montagne, expliquant en quelque sorte quelques légers exemples de mes préoccupations qui me paraissaient bien maigres face aux siennes. Il est vrai que j’aime m’attacher à présenter ce genre de concert tout en sachant que je ne suis qu’un faible ricochet du travail des artisans de paix que sont les membres de Muziekpublique.
Mais qu’est-ce face à l’inextricable droit international avec lequel mon ami ferraille depuis tant d’années ? Je l’entendis pourtant me répondre que ce que font ces producteurs, organisateurs et présentateurs de concert est absolument indispensable. Il insista même pour m’expliquer que tout le travail fastidieux auquel il participe au niveau mondial a plus que jamais besoin de ce travail d’ouverture, en autant de pays que possible, entre des cultures que d’aucuns croient antagonistes. Je n’ai jamais pu m’empêcher de penser que ce que nous faisons pour ouvrir l’esprit des uns aux expressions des autres n’était qu’une goutte d’eau dans une marre à la surface nauséabonde et aux profondeurs insondables. Mais voilà que mon ami me rappelait à quel point cette goutte d’eau est nécessaire, indispensable, à tout jamais utile.
Voilà qu’un gars qui a pris le temps, mais très peu de temps, de tâter du banjo américain puis de l’accordéon diatonique (appris d’un camarade français lorsqu’il était en poste au Soudan, ça ne s’invente pas), voilà qu’il me conforte dans cette sorte de militantisme musical (excusez du peu) qui m’a toujours animé dans mes envies de découvrir et faire découvrir les musiques des autres. Je parle au singulier puisque nous n’étions que deux sur ce chemin mais ceci vaut pour tous ceux, nombreux, qui sont animés des mêmes intentions. Continuons, contre vents et marées à faire entendre les musiques des autres, de tous les autres, qu’ils soient chez nous depuis belle lurette ou « fraîchement » débarqués, qu’ils soient loin d’ici ou sur le pallier d’en face, qu’ils soient réfugiés, sans-papiers, clandestins, délaissés, rejetés, oubliés, refusés, ou tout simplement allocataires montrés du doigt…
« On nous dit: « c’est complet, c’est plein
On ne sait déjà pas que faire
Des sans-papiers, des clandestins
Des réfugiés de toutes les guerres.
C’est facile de tendre la main,
Où s’arrêt’ ra la surenchère? »
Mais où vont les êtres humains
Que l’on reconduit aux frontières? »
(Jofroi : Frontières)
Jofroi - Photo DR
P.S. : Cet ami dont je parle s’appelle Jean-François Durieux. On peut l’écouter sur le net, souvent en anglais. Il participe notamment à une sorte de table ronde pour exprimer en quoi consiste le travail humanitaire : 2013 E&H Week Panel, « What is it like to work in a humanitarian crisis » CLIC
Etienne Bours et Jean-François Durieux - Photo DR
Muziekpublique est une association essentielle dont vous pourrez apprendre beaucoup en consultant leur site : www.muziekpublique.be