REED MARTIN
Gérard De Smaele
Photo ouverture : REED MARTIN (Bloomington, Indiana, 1946 - Cabin John, Maryland, 2024). Photo Pamela Zilly
Music was part of the people I was around and I got to know the people, not just the tunes.
(in BNL, June 1983, p. 6.)
Peu présent sur disque[2], il aura fallu attendre 1998 pour voir ce chef d’œuvre apparaître en CD. Faisant suite à une session de sept heures et à l’enregistrement de soixante titres, Reed Martin avait sorti en 1997 une cassette audio de 29 courts instrumentaux. Un an plus tard, le CD Old Time Banjo (37 titres) restera une autoproduction, distribuée par County Sales[3] et Elderly Instruments.
Vingt-quatre années nous éloignent déjà de la disparition de Derroll Adams (Portland, Oregon, 1925 - Anvers, Belgique, 2000). Depuis lors, nombre de personnalités phares de l’univers du banjo à cinq cordes nous ont quittés.
Je pense tout d’abord à Earl Scruggs (1924-2012 ) et à Pete Seeger (1919-2014) ; ainsi qu’à Mike Seeger(1933-2009), John Cohen (1932-2019), Tom Paley (1028-2017), et à Art Rosenbaum (1938-2022) ; sans oublier John Hartford (1937-2001), Bill Keith (1939-2015), Mac Benford (1940-2020), Eric Weissberg (1939-2020), J.D. Crowe (1937-2021), Bill Emmerson (1938-2021), Roger Sprung (1930-2023), Dwight Diller (1946-2023), Ben Eldridge (1938-2024), ou même l’Anglais Clem Vickery (1949-2022) -repreneur de la maison Clifford Essex- et de son associé le ‘classique’ Alan Middleton[4] (1927-2023), qui ont eu tant d’impact sur les banjoïstes de leur génération. Cette année on apprendra aussi le décès de Jim Mills (1966-2024) [5] et plus récemment celui de Reed Martin (b. 1946), survenu le 29 septembre 2024 : une perle rare dont nul ne devrait ignorer l’existence.
A la Une du Banjo Newsletter de juin 1983.37th Annual Washington Folk Festival, Glen Echo Park, en 2014.
Reed Martin est manifestement un des meilleurs représentants du old time banjo. Dès la fin des années 1960, il se distingue en remportant de prestigieux prix, lors de participations à divers festivals et contests dans le Sud des Etats-Unis, notamment à Union Grove, en Caroline du Nord, et à Galax, en Virginie[6].
Trois décennies plus tard, son Old Time Banjo a élevé l’art du folk banjo à un niveau rarement atteint jusqu’alors. Inspiré par la rencontre d’authentiques musiciens traditionnels, tels que Wade Ward, Kyle Creed, Dock Boggs[7], Pete Steele, Glen Smith, ou Tommy Jarrell, ainsi que par de nombreux collectages menés sur le terrain. Il a ainsi su mêler les techniques de jeu traditionnelles du Sud des Appalaches à celles des revivalistes de sa génération, tels que Dan Gellert, Ken Perlman et Bob Carlin. Ses interprétations magistrales se révèlent particulièrement riches et raffinées, le tout dans un style complexe, inimitable, reconnaissable entre tous, alliant une puissance rythmique à la mélodie.
Surdoué pour le banjo, l’esprit libre et indépendant, perspicace, adroit, cet intarissable narrateur n’eut de cesse de nouer des contacts avec des musiciens du cru, notamment des déplacés du Kentucky venus chercher du travail dans les carrières de Indiana (voir les liner notes de son CD). Parallèlement à cela, il cultivait une grande passion pour les choses mécaniques, les voitures anciennes ou les ‘Tether cars’ : des modèles réduits à moteur thermique en vogue aux Etats-Unis dans les années 1930. En toute modestie, Reed fut aussi un honorable cycliste quotidien, qui avait remporté les 100 miles de Boston dans les années 1970.
Son aventure humaine fut particulièrement riche. Nous renvoyons ici le lecteur à deux articles parus dans le Banjo Newsletter. Bien que cette revue prit fin en 2022, ces publications sont toujours accessibles sur internet[8]. Les banjoïstes Fred Geiger -chez qui nous étions allés rendre visite en ‘Ford T’- et Ken Perlman en sont les auteurs :
PERLMAN Ken. “Reed Martin.” Banjo Newsletter, Vol. XXV, n° 4, February 1998, pp. 8-13; Vol. XXV, n° 5, March 1998, pp. 8-12.
https://banjonews.com/1998-02/reed_martin_interview_part_1.html - GEIGER Fred. “Reed Martin.” Banjo Newsletter, Vol. X, n° 8, June 1983, pp. 5-8.
Banjo workshop’ avec Dock Boggs. Au Smithsonian Folklife Festival, le 4 juillet 1969.[9].
Pour la petite histoire.
Durant l’été 1983, c’est à l’issue d’un séjour à Washington, après le ‘Smithsonian Folklife Festival’, que des connaissances rencontrées sur place, ont jugé qu’il était temps de m’envoyer chez Reed Martin, à Cabin John, dans le Maryland. Trois ou quatre jours plus tard, après avoir longuement parlé avec lui, reçu quelques leçons de banjo et avoir parcouru des étagères de disques et de livres, Reed m’expédia dans un train pour Boston, afin que je puisse y rencontrer ses amis James Bollman et Mike Holmes, le gratin des collectionneurs du premier âge d’or de la fabrication des banjos à cinq cordes.
Ce fut un immense privilège que de pouvoir passer plusieurs jours chez chacun d’eux. Chez James Bollman, ma chambre était tout simplement garnie des instruments en partance pour l’exposition Ring the Banjar! The Banjo in America from Folklore to Factory, qui sera présentée au M.I.T de Cambridge, MA, d’avril à septembre 1984[10]. Quant à Mike Holmes, résidant à New Beford, il était le fondateur de Mugwumps, une revue spécialisée dans les instruments anciens. Le grenier de sa villa était lui aussi une véritable caverne d’Ali Baba.
Nous nous sommes revus à Frederick, lors de la ‘Maryland Banjo Academy’ de 1998, où Nancy Nitchie -veuve de Hub Nitchie, fondateur du Banjo Newsletter, la revue qui avait mis l’évènement sur pied - avait eu la délicatesse d’organiser nos retrouvailles et fait en sorte que nous puissions partager la même chambre.
Au fil des années, je me rendrai encore l’une ou l’autre fois à Cabin John, notamment pour le tournage du documentaire A Banjo Frolic[11], filmé en mai 2003, quelques mois avant l’ouverture de l’exposition Banjo ! au MiM de Bruxelles. Mon ultime visite remonte à 2018. Reed avait arrêté de pratiquer le banjo et s’était séparé de son ‘Vega Tubaphone de Luxe #9’, l’instrument de prédilection, sur lequel il avait enregistré son remarquable CD. En 2022, les échos parvenus à la Banjo Gathering de Baltimore faisaient état de Reed Martin souffrant de la maladie d’Alzemer, et de la dispersion de ses instruments suite à son placement en institution…
Sous des dehors un peu rudes, cet homme sans détours, solide, simple, droit, généreux[12], était unanimement apprécié de son entourage. Assurément, Reed Martin demeure une des rencontres les plus marquantes de ma vie de banjoïste.
Photo, Gérard De Smaele. A la ‘Maryland Banjo Academy’. Frederick, MA, 1998. - De gauche à droite: Dwight Diller, Bruce Molsky, Mike Seeger et Reed Martin.
Quelques liens :
Concert - 2000 - https://www.youtube.com/watch?v=CDZ0I2my_Ps
Bluegrass Today - https://bluegrasstoday.com/reed-martin-passes/
Hartel replica: http://www.minstrelbanjo.com/ReedMartin.html
Masterclass - 2021 - https://www.google.com/search?client=safari&rls=en&q=Reed+Martin%2C+Banjo&ie=UTF-8&oe=UTF-8#fpstate=ive&vld=cid:f10b7945,vid:IqrLzJXpkg0,st:0
Pour terminer:
Reed Martin était un grand admirateur de Dan Gellert[13] et de Ken Perlman. Bien qu’il se soit forgé une solide réputation et qu’il ait foulé les planches du Smithsonian Folklife Festival -avec notamment Dock Boggs-, ainsi que celles du Birchmere -une importante salle de spectacle à Alexandria-, il est toujours resté ancré dans la réalité. La musique old time est -à quelques très rares exception près- pratiquées par des musiciens amateurs. Voyant mon grand enthousiasme pour le banjo, en me déposant à l’International Dulles Airport (Washington). il me rappelait ceci : « The most important is to have a good day job ». Merci Reed.
Reef Martin étatit aussi un grand admirateur de Dan Gellert.
[1] Voir: Ken Perlman. « Reed Martin’s ‘Old Time Banjo’.” Banjo Newsletter, Vol. XXV, n° 2, December 1997, pp. 22-23.
[2] Il n’apparaît que sporadiquement sur une ou plusieurs plages de : Michael Holmes. Mandolin Instruction: Old Time, Country and Fiddle Tunes. Smithsonian-Folkways FW08372 [Folkways F-8372, 1977].
https://folkways.si.edu/michael-holmes/mandolin-instruction-old-time-country-and-fiddle-tunes/american-folk-music-instruction/music/album/smithsonian ; Art Rosenbaum. The Old Time Banjo in America. Kicking Mule KM 204, 1979; The Patuxent Banjo Project. Patuxent Music, 2014; The Young Foggies. Heritage Records, 1885. https://music.apple.com/gb/album/the-young-fogies/1460290198 ; Old Time Banjo Festival. Rounder Records, 2007. https://www.deezer.com/en/album/588329512 ; etc…
[3] Voir: County Sales Newsletter; ainsi que l’article de Ken Perlman dans le Banjo Newsletter
[4] Ne négligeons pas le rôle du banjo anglais dans le domaine de la préservation du banjo dit ‘classique’.
[5] Voir : Le Canard Folk. Octobre 2010 ; et https://en.wikipedia.org/wiki/Jim_Mills_(banjo_player)
[6] Voir : The 37th Old Time Fiddler's Convention at Union Grove North Carolina. Folkways Records 2434, 1962: https://folkways.si.edu/37th-old-time-fiddlers-convention-at-union-grove-north-carolina/american-folk/music/album/smithsonian : Galax, Va : The Old Fiddlers’s Convention. Folkways Records 2435, 1964: https://folkways.si.edu/galax-virginia-old-fiddlers-convention/old-time/music/album/smithsonian ;
[7] Dock Boggs: Recordings from the Collection of Reed Martin. The Field Recorder Collective FRC-305:
https://fieldrecorder.bandcamp.com/album/frc-305-dock-boggs-recordings-from-the-collection-of-reed-martin
[8] Voir : https://banjonews.com/archives.html
[deux articles en libre accès par mois]
[9] Dock Boggs (1898-1971) avait été découvert par Mike Seeger en 1963.
[10] WEBB Robert Lloyd, BOLLMAN James. Ring the Banjar! The Banjo in America from Folklore to Factory. Cambridge, MA: The M.I.T. Museum, 1984, 101 p.
[11] De Smaele Gérard, Ferryn Patrick. A Banjo Frolic. Vincennes: Frémeaux & Associés, 2008 (2003).
http://www.desmaele5str.be/pdf/A-Banjo-Frolic.pdf
[12] Il avait notamment enlevé toutes les clôtures de sa propriété afin que les enfants du quartier puissent venir jouer en toute sécurité et circuler d’une maison à l’autre.
[13] https://tikiparlourrecordings.bandcamp.com/album/dan-gellert-the-old-time-tiki-parlour-presents