PHILIPPE JANVIER
Sonneur créatif
François Saddi
Musicien breton basé dans le sud Finistère, Philippe Janvier arpente les chemins de la musique depuis plus de 50 ans. Il a fondé et/ou participé à de nombreuses formations comme Tammles, Katé Mé… ainsi qu’à de nombreux couples soit au biniou, soit à la bombarde avec divers sonneurs, Mathieu Sérot, Job Defernez, Didier Durassier, René Samson, Andréo Birrien, Jean Baron, Christian Anneix, Stéphane Foll… Et bien sûr avec Jean-Luc Le Moign (magnifique CD "Pour le cœur d’un marinier" en 1995 et champion de Bretagne 1993).
Titulaire du DE, PEA, il enseigne la bombarde au CRD de Lorient où il coordonne le département de musique traditionnelle.
Il a fondé avec le talabarder Mathieu Sérot, d’une part le duo Sérot/Janvier en 2009, et d’autre part la fanfare à danser, fanfare graphique Sérot Janvier & la Groove Compagnie (SJGC) qui a sorti courant 2023 son tout premier album (cf chronique ici). Prenons quelques instants pour faire plus ample connaissance avec ce prolifique musicien au parcours créatif et diversifié dont la simplicité et la discrétion n’ont d’égales que le talent et l’ouverture :
Tout d’abord quelques mots sur tes débuts, ta formation, les rencontres importantes…
Le début, c’est d’abord une envie, une envie de tout petit : avant mes 5 ans, quand mes parents me demandaient ce que je voulais faire plus tard, je répondais que je voulais être Breton – évidemment avec tout l’imaginaire que ça pouvait avoir à cette époque là – faire de la bombarde ou d’un instrument, c’était ça que j’avais en tête ! Ce qui est étonnant, c’est que, habitant à Rennes, ce n’était pas cette musique qu’on entendait le plus souvent. J’avais la chance de partir en vacances 1 ou 2 mois sur la côte en Bretagne et là, j’entendais, je voyais. Ce sont sans doute les images qui m’ont marqué et comme la bombarde a un son prégnant, je me suis fait attraper par ce son là !
Philippe à 18 ans
Très rapidement j’ai voulu apprendre alors qu’il n’y avait pas ou peu de joueur sur Rennes. C’était aussi une période où les musiciens trad, ce n’était plus à la mode, ou par encore. C’était dans les années 60. Mes parents m’ont trouvé un prof au bagad de Rennes. J’avais 7 ans, on m’a prêté une bombarde ! C’était des cours assez particulier : on me donnait des partitions - alors que j’arrivais déjà à faire des airs avec mon pipeau, les comptines et les chansons que ma mère chantait - et puis surtout on ne m’expliquait rien du tout ! Ces petites réflexions sur mon parcours d’élève m’ont aidé à construire plus tard mon parcours d’enseignant. J’ai toujours été, dès cette époque, en questionnement, en recherche de quelque chose.
Au bout d’un moment (au bagad c’était des grands qui jouaient. Ils avaient un sens de la fête peu compatible avec le petit jeune que j’étais alors) je suis allé voir d’autres bagad, en particulier celui des cadets de Bretagne à Rennes où quelqu’un a sorti un biniou, ce qui fait que je me suis rapidement mis au biniou. J’ai commencé à faire des stages, j’avais 14 ans, c’était le début de la vague Stivell.
Nous arrivons là à cette période que l’on a nommé revivalisme…
Oui, mais qui me passe un petit peu à côté à ce moment-là, même Stivell. Quand j’allais à l’école et que j’avais avec moi ma bombarde pour aller ensuite au cours, les gens la considéraient comme un instrument un peu improbable. Du coup, et comme j’avais déjà des sons et des choses dans la tête, je n’ai pas été pris dans ce nouvel engouement. Cependant, dans ce même temps, il a commencé à y avoir énormément de fest-noz à Rennes. A la salle des Lices par exemple, il pouvait y en avoir un le mardi, un le jeudi et un le vendredi, et ça presque toutes les semaines. Comme on pouvait toujours y entrer avec dans notre musette nos instruments, on avait le droit à un petit passage…
Affiche Hootenanny, années 70
A cette époque, il y avait aussi le Hootenanny au Centre Américain de Paris boulevard Raspail, cela fonctionnait de la même façon…… Et puis on avait aussi le droit à un petit casse croûte et un jus d’orange ! Du coup, on partageait la scène, on rencontrait de nombreux musiciens, des sonneurs, les Sœurs Goadec… Du coup j’entendais des tas de choses que je n’aurais pas pu connaître s’il m’avait fallu me déplacer, j’étais encore enfant et pas autonome. C’était formidable, c’était une super école !
A cette même période, je m’intéressais aussi à la danse, j’observais les danseurs pour piquer les pas. Je me suis inscrit au cercle des Gallo Bretons à Rennes et j’ai rencontré un joueur de biniou qui avait aussi fait de la cornemuse : c’est René Samson qui est resté un grand pote. On a commencé à jouer ensemble et on a vite eu pas mal de date.
Avec René Samson, fin des années 70
Toi à la bombarde et lui au biniou ?
Oui, à cette époque, je jouais surtout de la bombarde même si j’ai très vite économisé pour m’acheter un biniou. On a joué pas mal avec René, et puis comme il était prof d’Allemand, il partait souvent en Allemagne. Alors, j’ai trouvé un autre compère de la même génération que moi, sur Rennes aussi, qui venait au cercle Gallo Breton. Lui, Andréo Birrien, c’était un gars de la montagne qui venait de Chateauneuf (du Faou). Il avait joué là-bas avec divers musiciens comme Yann Le Meur ou Mich Toutous… Il a trouvé du boulot à Rennes et on a commencé à jouer ensemble. Quand on faisait de la Montagne, je prenais le biniou, et quand on faisait du Vannetais, je prenais la bombarde.
Je me rappelle d’une anecdote : moi j’aime beaucoup les ridées, des danses qui sont à 6 temps. Mais les airs, eux, n’ont pas forcément 6 tps. Il y en a très peu en fait qui ont 6 tps. Il y a des phrases en 5 tps, 7, 8 ou 9 tps et lui, il était vraiment gêné par ça. Il me disait « arrête de t’planter » ! Lui, il était carré sur ses 8 tps de la gavotte et là, il était perdu ! Ça ne nous a pas empêché de jouer quelques temps ensemble et puis, il s’est retiré, il a préféré privilégier la vie de famille alors que moi, je fonçais. C’est à ce moment là qu’on a créé le groupe Tammles.
Photo de presse de Tammles
Et ton apprentissage de la bombarde ?
J’ai appris avec, entre autres, Yannick Oulc'hen et Bernard Pichard à la Kevrenn de Rennes à maîtriser l’instrument. Ce qui est intéressant à noter c’est que cette "école de Rennes" a marqué beaucoup de gens à cette époque-là, notamment du fait des professeurs qui y enseignaient, Bernard Pichard (joueur de basson également) et Jean L'Helgouarc'h (altiste et auteur de la première méthode de bombarde), tous deux issus du classique, ce qui les a influencé. Donc cette école, sur le travail du son et de la maîtrise de l’instrument proposait un chemin différent de celui choisi par d’autres bagad et surtout celui issu des anciens sonneurs.
C’était un choix esthétique qui a bien marché et qui a fait école avec une volonté de faire joli. La référence aux sources n’était pas ce qui était le plus important. L’esthétisme privilégié par rapport à l’efficacité liée à la danse. Je me suis un petit peu nourri de tout ça à ce moment-là, puis je suis allé au cercle (Gallo Breton) et j’ai quitté le bagad et démarré le couple.
A ce moment là, il y avait un événement très important qui m’a beaucoup apporté : c’est le Festival des arts traditionnels consacrés aux musiques du Monde à la maison de la culture de Rennes. Il était organisé par Chérif Kaznadar qui a fondé ensuite la Maison des Cultures du Monde à Paris. Il y avait des musiciens traditionnels de partout au point que la maison de disque Arion a enregistré une bonne partie des albums de son catalogue de musique du Monde à Rennes. J’ai très vite fait partie des bénévoles et j’ai eu accès à de nombreux concerts. C’était très nourrissant.
La question des sources, essentielle pour toi, t’a amené à faire du collectage…
Oui, toujours à cette même période de la fin des années 70, j’ai commencé à faire du collectage, aller chercher les sources, dans le coin de Rennes. Ma marraine qui vivait à côté, sur Liffré, m’a dit que sa mère et sa grand-mère connaissaient des "choses", et j’ai eu un contact avec un joueur d’accordéon de son village. Je suis allé le voir et là, évidemment, je n’avais pas de mode d’emploi. Presque tous les collecteurs ont fait cette expérience : le 1er air qu’il m’a joué c’était "Riquita" et je n’arrivais pas à avoir autre chose. Sans lien direct, ça ne passait pas !
Je n’avais toujours pas de voiture, c’est mon copain René (Samson) qui me conduisait pour aller voir ce bonhomme là, Jean Repéssé. Comme je m’étais mis un petit peu à l’accordéon à ce moment là et que je connaissais quelques airs que je savais être du coin, dans nos échanges, j’ai joué un air. Il m’a dit : « Ah, c’est ces vieux machin là que tu veux…» Et là c’était parti !
Pour lui, les airs traditionnels n’étaient plus à la mode, c’était très dévalorisé, je lui faisais revivre des trucs. On a même, sur Ercé près de Liffré, retrouvé avec lui un avant deux qu’il n’avait pas dansé depuis longtemps et qu’il a refait de mémoire. La Bouèze a beaucoup travaillé sur ce terrain ensuite. J’ai entendu parler du chant dans le pays de Redon, j’y suis allé. J’ai continué à faire quelques collectages par la suite qui m’ont bien nourri.
A cette période il m’est arrivé une petite aventure, je me rappelle, c’était en 76, j’avais 18 ans et je m’étais inscrit à un stage de sonneurs de couple avec Ti Kendalc’h. C’était un lieu qui avait été construit par des militants de Kendalc'h au début des années 60 et agrandi dans les années 70 dans le cadre de la charte culturelle de 77 qui a permis d'avoir des permanents. C’était à Saint Vincent sur Oust. J’y étais parti avec des copains sans passer chez mes parents chez qui je vivais encore. Arrivé là-bas, on m’a dit « Ah, tu n’as pas été prévenu, on a trouvé personne pour animer le stage ! » On était 5, 6 dans le même cas. Là, le directeur de l’époque, Jakez Josset, je l’en remercie encore maintenant, me dit : « Ah mais ça fait combien de temps que tu joues, toi ? Ça fait 8 ans, là ! Ça t’dirait pas d’animer le stage ? Je n’sais pas, il faut que je vois avec les gars ce qu’ils attendent, ce qu’ils savent faire déjà ! » A la suite de l’échange avec eux, j’ai dit « banco on y va ! »
Pendant le stage en 1976
Premier pas dans la pédagogie, à 18 ans !
Complètement ! Alors évidemment, tu peux imaginer tout ce que ça comporte comme tâtonnements et comme réflexion sur comment partager un peu la matière. En échange, j’ai pu venir souvent à Ti Kendalc’h assister à d’autres stages et puis, un peu dans l’idée de l’éducation populaire, on est là, on donne du temps, de l’énergie, on participe et on emmagasine plein d’informations, sur la culture, sur la pratique de la danse. J’ai fait de nombreuses rencontres comme avec Francine Lancelot qui avait travaillé à la suite de Jean-Michel Guilcher sur les danses de la Renaissance et qui venait pour rencontrer les anciens et continuer ses recherches et études des danses du coin. Il y avait aussi des gens de la Sorbonne en ethno qui venaient faire des notes de recherche sur le pays et puis il y a eu aussi des rencontres plus locales avec des gens comme Jeannette Maquignon, supers contacts, que j’ai fait venir par la suite dans des stages de sonneurs que j’animais.
Ensuite j’ai été embauché à Kendalc’h. C’était mon premier boulot salarié en musique et danse. C’est seulement après que je suis rentré dans l’intermittence. Toute cette période-là a été vachement constructive, à cet âge là, quand les choses se font presque naturellement, ça coule de source !
Depuis les années 80 tu as fondé ou participé à de nombreuses formations, peux-tu en dire quelques mots, et notamment de celles qui ont été décisives dans ton parcours ?
A la fin de mon passage à Kendalc’h, il y avait un duo qui fonctionnait avec Alain Pennec et Marc Jacquier (qu’on appelait Gégène), qui s’appelait Tammles et qui faisait beaucoup de cabaret, des chansons du coin avec Alain aux flûtes et à l’accordéon et Marc à la guitare. Ils m’ont proposé de jouer avec eux. On a commencé à faire quelques dates. Mon copain René (Samson) qui était revenu d’Allemagne à ce moment là m’a dit qu’il connaissait des gens qui cherchaient à faire tourner des groupes là-bas. Je lui ai dit pourquoi pas nous ? Donc nous voilà parti à chercher un 4ème musicien et on a été chercher Jean-Yves Martial, violoniste.
Et l’aventure de Tammles a commencé. Alain connaissait bien le producteur d’Arfolk, il y avait fait un disque en couple avec son frère et du coup, on a fait très rapidement un premier disque. On commençait à avoir une petite aura au niveau du fest-noz et l’aventure a duré jusqu’au début des années 90. On a fait 3 albums, toujours à 4 même si à un moment un percussionniste nous a rejoint.
Petit à petit on a joué de plus en plus nos propres compositions et notre instrumentarium s’est diversifié : Je me suis mis au sax, un peu d’alto, surtout du baryton dans ce groupe. J’ai d’ailleurs pour l’anecdote, été le premier à amener le baryton dans la musique bretonne.
Philippe au baryton
Le guitariste s’est mis aussi au synthé… D’autres couleurs arrivaient dans le groupe. On tournait beaucoup, on s’est arrêté au moment où on a eu des ouvertures sur l’Europe mais ça n’a pas suffit à garder la dynamique, nos envies se diversifiaient.
Premier disque, 1983
A la fin des années 80, les groupes folk tournaient beaucoup moins en France. Pour vous, en Bretagne, ça s’est passé de la même façon ?
Non, nous avons continué à bien tourner, d’une part parce que le fest-noz marchait bien et d’autre part parce que nous étions peu de groupes pros à ce moment là. En plus, à l’époque, on se trimballait avec notre camion et notre sono. Il y avait aussi Bleizi Ruz et Sonnerien Du qui tournaient et avaient aussi comme nous camion et sono. Du coup, c’était plus facile pour les organisateurs qui n’avaient pas à louer le matériel pour les autres groupes, on était des fois plusieurs groupes dans la même soirée. C’était essentiellement en Bretagne, très peu à l’extérieur, sauf quand on faisait des tournées, en Allemagne, en Italie…
Il y a aussi eu un petit événement à ce moment-là : Catherine Perrier, John Wright et Philippe Krümm qui étaient en relation avec le festival du Smithsonian au USA m'ont proposé d’y aller faire du couple avec Alain Pennec.
En couple avec Alain Pennec
On était une petite équipe de Bretagne, il y avait Erik Marchand et les Trouzerien Mod Koz, nous, et puis des gens du Poitou, Philippe Prieur, Olivier Durif, Jean-François Vrod… On est tous partis 3 semaines à Washington. De belles rencontres ! Catherine et John étaient avec nous aux Etats-Unis, Philippe Krumm lui était resté à Paris je crois.
Tu as beaucoup tourné en couple, duos biniou/bombarde, bombarde accordéon… Le plus souvent à la bombarde…
Ce que j’aime à dire à propos du couple, c’est que c’est pour moi une sorte de fil conducteur tout au long de mon déroulé de musicien. J’ai avancé, grandi, la réflexion a évolué, le jeu aussi mais ça a toujours été au centre. Même quand j’ai joué dans des groupes, le couple était toujours là, derrière. Le couple ou la dualité...
Petite anecdote : à la fin des années 90, j'ai joué en duo au sax baryton avec Jacques Beauchamps à l'accordéon diatonique (lui-même joueur de biniou) et on s'est inscrit au concours de sonneurs de couple de Monterfil sans préciser nos instruments... on a eu les félicitations et été mis hors concours. Nous avons participé à cette époque à l’album "Accordéons diatoniques en Bretagne".
Même pendant cette période intense avec Tammles ?
Je n’avais pas forcément le temps de jouer en couple mais c’était toujours là, quelque chose qui me tient, qui me maintient sur une ligne. Je peux en dévier mais j’y reviens toujours en pensée. Dans le courant des années 80, j’ai papillonné avec pas mal de compères, il faut trouver le bon, celui avec qui ça fait tilt quoi ! Avec Jean-Luc Le Moign, ça a bien fonctionné. J’avais acheté un couple biniou bombarde en sol # mineur de Youn Bihan, les instruments étaient supers et on a été plusieurs fois ensemble aux championnats de Bretagne.
Avec Jean-Luc Le Moign
Justement, quid des divers concours auxquels tu as participé, championnats de Bretagne avec Jean-Luc Le Moign ?
Le concours pour moi est l'occasion, dans la préparation, d’aller chercher de la matière, de chercher des sources et de les traiter sans en faire la copie. Aujourd’hui, en caricaturant un peu les choses, on trouve des sonneurs qui jouent des airs qu’ils ont entendu jouer par d’autres sonneurs en faisant fi des sources ce qui les empêche d’appréhender la matière et de faire des choix d’interprétation. Ce qui m’intéresse, moi, c’est de chercher cette matière, de se nourrir des sources et, sans les copier, de voir comment on les ressent et comment on peu les traiter.
Comprendre la prosodie musicale en lien avec la prosodie du texte quand il y a un chant et voir comment, instrumentalement, on peu traduire ça. Mes sources sont souvent des chants. Ce qui m’intéresse c’est de comprendre cette prosodie là et comment on peut la replacer dans le jeu instrumental. C’est aussi un élément de ma pédagogie dans le travail au conservatoire. Avec Jean-Luc, ça marchait plutôt pas mal, on était toujours bien placés dans les concours jusqu’à Gagner Gourin avec un pilé-menu. On était les premiers à gagner avec cette danse du pays Gallo. Je sais d’ailleurs que l’un des jurys (je sais qui c’est mais je ne le citerai pas) avait dit « on ne va tout de même pas donner le premier prix à des Gallo ! »
L’année d’après, on a gagné en mélodie et c’est là qu’on a enregistré notre album "Pour le cœur d’un marinier" sur la péniche spectacle à Rennes. On avait prévu 3 jours, on l’a enregistré dans l’après-midi en une prise sauf l’une des suites qu’on a refait une seconde fois ! On était bien content, c’était une belle aventure. On a continué un petit peu à jouer et puis Jean-Luc qui était déjà à plein temps en conservatoire a voulu arrêter. Être souvent absent, ça n’était pas son truc !
Dans les formations qui ont été importantes à ce moment-là, il y a eu aussi Katé-Mé…
Dans les années 90, j’ai joué en fest-noz dans un groupe qui s’appelait Strakal. Le guitariste de ce groupe, Patrick Paichereau, dit Pépèche, n’était pas du tout issu de la matière bretonne, il faisait pas mal de jazz, de funk... Je m’entendais très bien avec lui et on a commencé a faire des petites expériences bombarde et guitare. Très vite, c’est devenu un peu juste comme instrumentarium. On a voulu aller un peu plus loin et son copain Job Defernez, bassiste (et aussi joueur de biniou) nous a rejoint et on a commencé à penser les choses à 3, bombarde, guitare et basse. Rapidement, dans la même réflexion, on s’est dit ça ne suffit pas, il faut étoffer : il faut un batteur et c’est Hervé Naizin, prof de batterie à Vitré qui nous a rejoint. On a donc tourné quelques mois à 4. Du coup, j’étais le seul mélodiste, avec un instrument, la bombarde, avec laquelle il est impossible de jouer en continu. On a donc essayé de trouver un chanteur, et c’est Mathieu Hamon avec lequel on a fait un premier petit album à 4 titres (qui n’est pas distribué) Katé-Mé était né !
Rapidement, Mathieu a fait des choix musicaux qui l’ont amené à nous quitter et il nous a présenté le chanteur Sylvain Girault. La transition s’est faite en douceur et au fur et à mesure, on s’est orienté vers la création de nos textes et de nos musiques. On commençait aussi à avoir une maturité de groupe. Dans le premier album avec Sylvain, chez Sony, on était encore principalement sur des reprises de musiques trad. Ensuite on a de plus en plus souvent joué nos propres textes et musiques et cela jusqu’en 2009.
Dans les dernières années de la décennie 90, j'ai joué aussi avec le groupe Koun avec lequel nous avons enregistré un cd chez Keltia "C'est en disant bonsoir..." avec Alain Léon à la guitare, Véronique Bourjot au chant (qui sera ma collègue en tant que prof de chant traditionnel à Lorient), Dominique Trichet au violon et Pascal Martin au Uilean Pipe.
Et parallèlement à cette période, en 99, la confédération War'l leur m’a demandé de monter une équipe et de participer à leur création de l’an 2000 en en écrivant les musiques. War'l leur c’est l’une des 2 fédérations de cercles celtiques en Bretagne avec Kendalc’h. Elles se sont associées il y a maintenant 3 ans en Kenleur.
J’ai travaillé avec les chorégraphes et monté une formation d’une douzaine de musiciens : 3 batteurs percussionnistes, un contrebassiste, Pierrick Tardivel, un violoncelliste, Yves-Paul Ruellou, un accordéoniste, Jean Floch, un joueur de biniou et Uillean Pipe, Yann Bonnec, Hervé Chevrollier et ma pomme à la bombarde et en chant Mathieu Hamon, Annie Ebrel et Sylvie Rivoalen. C’était un bon petit team, ça nous a pris du temps mais c’était intéressant et surtout c’était autre chose que ce que l’on faisait avec Katé-Mé. Il y a eu 1 an d’écriture, 1 an de répétition et puis la création pour l’an 2000. Une belle expérience !
C’est à peu près à ce moment à la fin des années 90 que je suis devenu enseignant, bombarde, biniou et culture musicale, à plein temps aux conservatoires de Quimperlé et de Lorient, après une vingtaine d’années d’intermittence.
Mener de front enseignement et concerts… Complémentarité indispensable ?
Même si j’ai commencé à donner des cours, mon activité artistique ne s’est pas arrêtée pour autant. Pour moi, c’est un équilibre important à préserver. Être toujours en relation, en contact avec le milieu artistique, le milieu professionnel me permet d’écouter, d’entendre et de voir un peu comment les choses évoluent. L’aventure de Katé-Mé, ça a été plusieurs albums qu’on a pu faire, dont un album en live pour lequel on a rajouté des cuivres dans la formule.
On s’amusait en fin de compte à créer tout en gardant en conscience la matière. Même si c’était une création, on faisait attention à ce qu’on ressente complètement les différents mouvements musicaux, tant dans les danses, même si on n’était pas un groupe de musique à danser, que dans les textes ou les métriques utilisées. Garder les particularités de notre culture !
C’était quelque chose qui donnait lieu à de longues discussions avec le batteur qui était très funky et qui avait des patterns bien carrés. Il a fallu qu’il travaille d’autres approches dans son jeu. Le guitariste qui était lui aussi issu d’autres cultures a du trouver des couleurs musicales qui s’adaptent complètement à l’environnement. Les discussions étaient souvent profondes, sans forcément être vives : « Mais tu le penses comment, ça ? » Avec l’avantage que notre bassiste, Job (Defernez) était aussi joueur de biniou et avait lui aussi une certaine conscience de cette matière traditionnelle, de même que notre chanteur, Sylvain.
Pour ma part, les parties de bombarde que j’ai écrit et que l’on gérait comme des riffs avaient toujours un aspect mélodique puisé dans les éléments de la structure et de notre culture.
Nous sommes à la fin des années 90, tu quittes donc l’intermittence et tu deviens fonctionnaire territorial, tu enseignes la bombarde dans les conservatoires de Quimperlé et Lorient… Vivre, entretenir et transmettre…
Oui, j’ai deux demi postes à ce moment-là. Au début des années 2000, c’est là qu’il y a eu un travail piloté par la région avec la Drac sur la mise en place d’un DEM (diplôme d’études musicales). C’était intéressant de travailler sur les contenus, de voir comment on pouvait concevoir ce diplôme-là pour la culture bretonne. Ce travail a été également mené dans d'autres régions et a été centralisé ensuite au niveau du ministère pour rayonner un peu partout après. L’aventure, c’était d’arriver à proposer une formation pour les élèves en DEM. C’est là que c’était vraiment intéressant, de penser quel élève on voulait à la fin de son parcours…
Tu veux dire de ne pas le former uniquement sur la technique instrumentale ?
Oui parce qu’en fait ce DEM n’était pas un diplôme d’instrument mais bien plus largement un DEM de musique traditionnelle, spécialité bretonne. Cette appellation était pour moi très importante. Ça veut dire que l’on ne se concentre pas uniquement sur la pratique, sur la technicité mais plutôt sur la manière dont celle-ci est mise en place pour servir cette musique-là : connaître, s’approprier et traiter les sources. Pour moi, il y a une chose qui est importante dans la manière d’envisager ça, c’est de comprendre comment fonctionne cette matière-là en se servant de l’écoute des sources. De comprendre de quels éléments on a besoin et de proposer quelque chose en continuité des sources de façon à permettre à ces musiques-là d’être encore aujourd’hui vivantes. Ce n’est pas d’amener les jeunes à faire des cartes postales sonores de ce qui avait pu se passer avant. Si on s’en contente, si on se cantonne à la restitution, on ne les accompagne pas, on les fige.
Je vais prendre une image : J’ai grandi dans un univers musical qui m’a construit, on pourrait dire la même chose des anciens. Les gamins qu’on a maintenant, ils grandissent dans un autre univers musical et on est obligé d’accepter que les choses bougent. Si on n’en a pas conscience en tant qu’enseignant, on risque de rester "gardien du temple". On les accompagne pour obtenir un diplôme de musique traditionnelle et il faut que l’on sache s’ils connaissent la musique traditionnelle. Après, leur projet artistique, c’est leur vie à eux ! Avoir un bagage solide par rapport à ça.
Dans ce cadre là, pour ces jeunes qui préparent le DEM, il s’opère une sorte de réappropriation pour être soi-même tout en étant…
Pour moi, ça va de pair la réappropriation, dans ce sens, c’est comme la notion de style. Quand on parle du style d’un terroir, on parle plutôt de celui de tel ou tel musicien qui représente ce terroir. J’ai fait l’expérience d’écouter divers musiciens issus d’un même terroir, des sonneurs ou des chanteurs, évidemment, pour les chanteurs, il y a la langue qui fait tronc commun, mais il y a le timbre de la voix, l’expression, plein de différences… Pour les sonneurs, il y a des fois des choses complètement différentes sur un même terroir, je pense par exemple au terroir Dardoup (autour de Châteaulin) ou des sonneurs d’un même coin et de la même génération n'avaient pas du tout la même manière de sonner.
En même temps, pour un terroir donné, le panel de représentation s’était émoussé avec le temps et on n’a retenu de ce même terroir que les savoir faire des gens qu’on a pu entendre, écouter, collecter et enregistrer. Ça limite un peu les choses !
D’autant que la place des musiques traditionnelles a beaucoup évolué en quelques dizaines d’années !
Oui, à un moment il y a eu quand même une rupture sociétale de la tradition instrumentale. Si on n’en a pas conscience, on fait de la carte postale sonore !
Alors la réappropriation, oui ! Je pense notamment à un élève adulte qui a une grosse culture en musique traditionnelle et qui est un bon instrumentiste sans pour autant pouvoir devenir un virtuose. Il a une curiosité et du goût pour aller chercher des choses, il est parti des airs qu’il entendait gamin, Thierry la Fronde, Saturnin, … des trucs de gamins.
On a pris le parti d’analyser ces airs et d’en extraire la hiérarchie des notes et la construction mélodique, tout en gardant des éléments structurels. Faire des choix de chemins mélodiques, de rythmes en rapport avec la hiérarchie des degrés, des mouvements de jeux et de tempo, en pensant à la danse et ses couleurs propres. Le résultat a bluffé tout le monde !
Après ce travail, on ne reconnaissait même plus les airs. Je pense qu’en travaillant ainsi, on réutilisait le principe, inconscient (?) de réappropriation dans la société traditionnelle : ils entendaient un air, ils le refaisaient et ils le remettaient, ils le re-situaient dans leur propre cadre.
Une sorte de "ré actualisation" revigorante !
Y’en a qui me font marrer, des défenseurs d’une certaine pureté de la tradition. En fait, on a fait ce que les gens on toujours fait et ça n’a posé aucun problème : la fonction et les divers éléments d’un thème donné étaient là et bien là !
Sur le plan de la culture, c’est toute la connaissance des sources : comment les comprendre, les traiter, les interpréter.
On peut très bien faire un travail d’imitation pour mieux les comprendre mais ensuite, les gens jouent et chantent avec leurs parcours, leurs personnalités. Pour moi, c’est aussi important que les gens se défassent de leurs certitudes. Je me suis rendu compte dans les questionnements dont je parlais tout à l’heure que l’on disait facilement « c’est comme ça qu’il faut faire ! » Et puis j’observais et me rendais compte que c’était contradictoire avec ce que je voyais. Si on ne réfléchit pas, si on ne s’interroge pas sur ce qu’on nous a dit (pas remettre en cause pour remettre en cause bien sûr !), on ne peut avancer. Il faut essayer d’observer tous les éléments des pratiques instrumentales (quelque soient les instruments), et de la pratique du chant - évidemment en lien avec la langue - sur un même terroir, ce qui amène tout naturellement à la prosodie musicale. Donc c’est d’éliminer les certitudes par rapport à telle ou telle chose, de faire un zoom arrière pour prendre du recul.
Tu parles d’une certaine forme de re-création, c'est-à-dire de restituer en resituant après appropriation ?
Dans le Gallo-Vannetais (est du Morbihan) il n'y avait plus de sonneurs de traditions (ils ont même été rares), les références pour moi, on été les chanteurs et les joueurs d'accordéon, il a fallu "inventer" un jeu, son propre jeu. C'est là que chaque sonneur ou chanteur va se créer son univers sonore, en fonction des rencontres, expériences, recherches, réflexions et surtout de l'environnement culturel dans lequel il évolue et se nourrit.
Je me permets de prendre un extrait du livre consacré au célèbre sonneur du 19ème siècle Matilin An Dall (Dastum) par Bernard de Parades, C. Morvan, F. Postic et P. Malrieu :
« …Ainsi, il est très remarquable de constater que ce XIXè siècle, qu'on présente volontiers aujourd'hui comme l'époque parée d'une sorte de label "tradition populaire contrôlée", s'avère singulièrement ouvert à toutes sortes d'influences et d'évolutions. La société dite "traditionnelle" et réputée pratiquer un répertoire reçu de toute antiquité, exempt de toute influence exogène, faisait en réalité preuve de plus d'ouverture qu'on ne le croit trop souvent. Ce qui ne l'empêchait pas de développer sa propre culture...
… les commentateurs de l'époque – et parfois leurs successeurs – n'ont pas su voir que ces emprunts étaient repensés, réinterprétés, recrées à tel point que, sous l'influence du style local, ils devenaient autre et prenaient leur autonomie par rapport au modèle d'origine. En matière de musique traditionnelle, ce ne sont ni l'air ni l'instrument qui font la musique mais le style, la manière de jouer et le contexte social ! Et ceci est sans doute plus vrai pour les musiciens qui, sûrement plus que les chanteurs, se montrent systématiquement à l'affût de la mode..... »
Des propos encore d'actualité ?
Nous avons connaissance des pratiques et de leurs évolutions dans la société traditionnelle, nous avons conscience de la malléabilité de la matière. On sait la libre circulation des airs et des textes, on peut le constater en écoutant des versions d'un même chant, chez nous et dans l'espace francophone (cf. Coirault, F. Guériff...)
On apprend à maîtriser son instrument, et la technique est au service du rendu musical voulu. Plus on a de possibilités de jeu, plus on a d’éléments pour faire des choix d'interprétations. Le face à face pédagogique est indispensable pour s'adapter à chacun, même si j'ai répondu favorablement à "Breizh Music" pour enregistrer des vidéos de cours que l'on peut retrouver en ligne sur leur site et sur YouTube en partie. Chacun ses paradoxes.
Tu joues en couple avec Mathieu Sérot, depuis 2009, toi au biniou et lui à la bombarde…
Pour l’anecdote, j’ai fait dernièrement une soirée à la taverne du roi Morvan pour mon départ à la retraite. J’ai sollicité pour la soirée des élèves que j’ai accompagné dans leurs parcours et qui sont devenus professionnels, certains pendant plusieurs années et d’autres seulement pour quelques temps.
Parmi ceux là, il y a Mathieu Sérot que j’ai eu comme élève pour le DEM, pendant les 3 dernières années de la formation. On n’avait pas maintenu de fil particulier et quelques années plus tard, en 2009, 5 ans au moins après qu’il ait eu son DEM et alors que concomitamment on avait arrêté avec Katé-Mé, j’ai reçu un coup de fil de Mathieu qui cherchait un sonneur, il avait une date, n’avait trouvé personne pour jouer et avait pensé à moi.
J’avoue que j’ai hésité un petit peu à relancer une nouvelle machine, et puis j’ai dit oui et depuis ça continue. Ce qui est intéressant avec Mathieu, et que j’avais commencé à expérimenter avec Didier Durassier, c’est de sortir un petit peu de la forme statique sur scène, de ne pas rester assis et de bouger, d’être en mouvement avec les danseurs. Là, dès le premier fest-noz qu’on a fait ensemble, on s’est levé, on a commencé à danser et on a fait les fous ! Marcher, courir, danser avec les gens et retrouver un petit peu le côté "animatoire" des sonneurs : descendre de la scène, aller avec les gens, passer derrière eux dans la salle, aller dans les cuisines, sortir dehors voir s’il y avait du monde…
Tu veux dire qu’autrefois les sonneurs faisaient comme ça ?
Oui, il y a bien sûr l’image du sonneur sur sa barrique mais il y a aussi celles des sonneurs des noces, animateurs des fêtes et des pardons. Ça n’est pas une reproduction de ce qui se faisait, évidemment on est plus sur les même schémas. C’est dans l’esprit de réactualiser, de raviver les choses et on a remarqué que ça créait de l'interaction et que ça faisait plaisir aux gens.
On se posait la question de comment redonner de la vie à l’activité de sonneur. Quand on est sonneur, aujourd’hui, même si y’en a qui tournent bien, c’est un peu plus rare d’être programmé en fest-noz. Donc, la majorité des occasions de jouer, ce sont les concours, il y en a beaucoup qui n'ont que cette occasion.
Fest-noz en mouvement avec Mathieu Sérot
Peux-tu entrer un peu dans les détails à propos des concours en Bretagne ?
Avec Mathieu, on ne voulait pas en faire sauf celui de la Bogue d’Or (à Redon) que moi, j’aime bien depuis longtemps. C’est un concours où il y a, comme à Monterfil, un état d’esprit et une liberté dans le répertoire et la manière de faire. C’est quelque chose d’important. Comme on faisait beaucoup de répertoire du Pays de Redon. On a fait la Bogue et on l’a gagné. On y a fait ce qu’on faisait ensemble naturellement, le côté un peu gai, en fait l’esprit de la Bogue. Pour la petite histoire, c’est aussi à la bogue d’or que j’ai gagné à l’accordéon diatonique (1983) et en chant accompagné (2011).
Ensuite, on est allé à Gourin, et là, on a fait pareil sans rentrer dans le moule : la marche, on la fait gaiement et la danse, on va jouer au milieu, avec les danseurs. Evidemment, ça gêne un petit peu le jury mais là, on en avait rien à faire, qu’ils apprécient ou non, ça nous était égal ! On avait fait la même chose quelques années avant avec Didier Durassier, dit Dudu.
On s’était présenté à Gourin et en danse, j’avais proposé une mazurka. Bien sûr, en faisant ça, je savais très bien qu’on ne pourrait pas gagner. Comme j’avais déjà gagné ce concours avec Jean-Luc (Le Moign) sur un pilé menu, je me disais qu’au lieu d'essayer de gagner tout le temps le même concours, c’était peut-être d'ouvrir d’ouvrir des portes et de proposer des possibles, de proposer et peut-être aussi de provoquer, de bousculer des trucs !
Donc, avec la mazurka, vous n’avez pas gagné !
Bien sûr que non et avec Mathieu non plus ! Mais ce n’était pas le but et on ne s'est pas mis la pression, on a fait ce qu'on sait faire sans préparation particulière ni bachotage.
On en arrive à la création de la Sérot Janvier Groove Compagnie (la SJGC)
Avec Mathieu, dans notre parcours de musiciens de couple à jouer autrement en bougeant et en s’amusant, à "faire nos quéqués", on s’est posé la question des Arts de la Rue, de comment amener ces musiques là un peu partout, de les sortir de leurs parcours habituels, d’être fléchés sur des événements particuliers, fest-noz ou autres. Les Arts de la Rue ont donc commencé à nous intéresser. On a réfléchi, couché sur le papier plein d’idées, été à la pêche aux infos, voir des spectacles et les choses ont mûri dans nos têtes.
Et puis en 2014, Julien Le Mentec de la taverne du roi Morvan à Lorient nous a proposé, à Mathieu et moi, une carte blanche à faire pendant le festival de Lorient. Du coup, pour ce qu’on avait pu un peu imaginer, on a choisi un instrumentarium qui soit aussi sonore que nous et qui puisse aussi équilibrer un peu le spectre, avec aussi bien sûr l’envie d’associer l’humain et l’instrumentiste. On a été cherché dans les graves avec un soubassophone. On a proposé à Benoît Gaudiche qui était aussi trompettiste et qui avait joué avec moi dans les cuivres dans Katé-Mé. On a pris ensuite Stéphane Hardy au saxophone baryton, il était aussi joueur de bombarde et s’intéressait à toutes sortes de musiques, il avait été en Inde et au Maroc travailler ces musiques là, et qui avait aussi fait des remplacements dans Katé-Mé. On le connaissait bien et on savait qu’on pouvait partager avec lui nos approches musicales. Et enfin on s’est adressé à Gaël Martineau qui jouait du tapan (ou davul suivant le pays, entre la Turquie et la Macédoine) pour la percussion. Il nous avait écouté plusieurs fois quand on jouait en couple avec Mathieu, il aimait bien ce qu’on faisait. On l’avait invité à jouer une fois avec nous et ça avait bien fonctionné. Il était passé dans son parcours par la Kreiz Breiz Académie. Le team de la SJGC était réuni pour la carte blanche et depuis, on n’arrête pas !
Ça évolue depuis et maintenant on en est à avoir fait notre objet sonore, un objet qui ne demande qu’à grandir. C’est l’album "Chminries" qui fait le point musical de là où nous en sommes en ce moment, une sorte de témoignage de notre histoire commune jusqu’à aujourd’hui.
Avec la SJGC
Dans cet album, tu signes le quasi totalité des thèmes. Peux-tu en dire quelques mots ?
L’idée que nous avions, ce n’était pas de reprendre des thèmes et des structures de la matière traditionnelle mais plutôt d’en faire une abstraction. De s’amuser à déconstruire certains airs et, ce qui m’a inciter à faire ça c’est que en étudiant un petit peu l’évolution de la structure des musiques dans les sources qu’on peut connaître, on voit bien qu’il y a des fois des construction un peu étonnantes. Ben oui, ici c’est permis !!! Donc je me suis un peu autorisé à m’amuser avec ça, par contre en gardant toujours quelque chose qui porte le mouvement de la matière pour pouvoir amener la danse. Après le travail du collectif amène le côté couleurs, ainsi qu’un côté un peu transe qu’on aime bien. Un aspect propre à la musique bretonne avec son côté répétitif, que ce soit dans les danses jouées aux instruments ou dans les chants à danser. Quand on reste longtemps dans une ridée, un rond de St Vincent ou un plinn qui tient ½ heure, on se retrouve dans un état qui… wouhh ! On en veut encore, quoi ! Et donc, pour cette recherche de rendu, de ressenti, et dans l’intention mélodique, je fais des choix de modes à la base et je pense à des structures, ou bien je choisis une couleur de mode et je construis par rapport à la couleur modale qu’on peut avoir.
Dans l’album, nous jouons toujours les mêmes instruments et ce sont les choix des modes qui amènent la diversité des couleurs. Ça reste des doigtés naturels même si ça n’est pas toujours naturel dans la tradition. Maintenant, on se pose la question d’utiliser d’autres instruments pour aller chercher encore d’autres couleurs…
Si on essaye de résumer un peu ce chemin de vie qui a duré près de 60 ans, on peut y voir un parcours fait de multiples questionnements auxquels tu as, pour la plupart trouvé tes propres réponses…
Oui, un questionnement qui est parti de l’idée d’un petit garçon habitant Rennes qui voulait devenir Breton et qui ne savait pas comment faire ! Quand j’ai commencé à jouer en couple, toujours en questionnement, je suis allé voir les anciens qui étaient sur Rennes comme Jean-Yves Blanchard. Ils me recevaient très bien mais je n’avais pas de réponses à mes questionnements, ou plutôt des réponses pouvant me faire avancer. J’ai continué mes questionnements. Je me suis ré inscrit au conservatoire, là aussi pour y chercher des infos mais je n’y ai pas trouvé de quoi avancer, on y restait toujours dans l’univers de la musique classique tonale. J’ai passé mon temps à chercher des réponses que je ne trouvais pas. J’ai finalement trouvé petit à petit, tout au long de ce parcours, mes propres réponses. Elles m’ont construit en tant que musicien et pédagogue. Ce sont toutes ces réflexions et tous ces questionnements qui ont été partagés dans toutes les expériences que j’ai pu faire.
Ces questions et les réflexions qu’elles généraient ont fortement marqué ta pratique de musicien de groupe…
Dans Tammless, il y a eu une énorme évolution dans nos pratiques musicales, comme dans Katé-Mé. On passait beaucoup de temps à parler et à échanger en dehors de la musique. Et ça constitue un socle de travail comme dans tous les groupes auxquels j’ai participé : on était en création collective. Dans les échanges, on lance un projet qui devient ce que le groupe en fait. Il n’y a pas de chef en tant que tel, c’est vraiment la résultante d’un projet collectif et ça, pour moi, ça a été très important dans mon parcours !
Dans la suite de ces questionnements, quand j’ai commencé à donner des cours d’une manière pérenne, sur une, puis plusieurs années, je n’ai jamais voulu que les gens jouent comme moi. Et donc trouver les approches, les processus pédagogiques pour que ça devienne concret. Et je me pose toujours des questions !
Années 80