Aller au contenu
En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies notamment pour réaliser des statistiques de visites afin d’optimiser la fonctionnalité du site.
Des mondes de musiques

 En lisant avec gourmandise les articles de 5planètes.com, vous pouvez écouter Canal Breizh, en cliquant sur le logo.

 

 

 

 

 

 

 

PETRU GUELFUCCI (1955-2021)

VOIX MAGIQUE CORSE ET ESPRIT DE LA « RIACQUISTU ».

Frank Tenaille

Qu’il interprète une tribbiera ou un lamentu, un cantu in paghjella profane ou liturgique, son chant donnait le frisson.

 

 

Dans le si riche vivier des voix corses, Petru Guelfucci faisait référence. Une voix magique que le continent découvre au début des années 70 partie prenante de Canta U Populu Corsu. Un groupe pensé sous un châtaignier de Sermanu dont il fut un des fondateurs avec les Jean-Paul Poletti, Minicale, Natale Luciani, Ceccè François Buteau... C’est la période de la « Riacquistu », entendre de la reconquête culturelle, lorsqu’il s’agit de lutter contre l’exode rural et la désertification de la Corse, en réaction contre une marchandisation du vivant qui commence à exercer ses effets prédateurs. Cette réalité impliquant de retisser des liens avec une histoire niée, ses anciens et ses héritages. Collectages, veillées, ateliers de chant polyphonique, valorisation de la langue à travers le chant, écoute des enregistrements mythiques des ethnomusicologues (Félix Quilici, Markus Röhmer, Wolfgang Maade), sont au menu d’une génération enthousiaste qui entend vivre et travailler au pays et lui donner un futur qui ne soit pas celui d’une carte postale.

Petru Guelfucci sera de ceux là. Dans la logique de son adolescence à Sermanu, modeste village de la pieve du Bozziu, non loin de Corte. Un village dont la particularité, outre d’être le seul à avoir un monument aux morts doté de la Tête de Maure, est d’avoir préservé en matière de chant son « versu ». Son engagement est naturel. Son père, Filice Antone Guelfucci, est un violoneux prisé, sa famille compte moult chanteurs et musiciens. Et depuis ses 14 ans, le jeune Guelfucci anime veillées et foires avec le groupe folklorique A Manella. En tout cas, il sera de Cantu U Populu Corsu de 1973 à 1982, enregistrant les huit albums de cette période pour Ricordu, le label insulaire créé par Antoine Leonardi dont un « live » au Théâtre de la ville à Paris. Et il accompagnera l’évolution d’un répertoire, de la reprise des chants traditionnels aux chansons-tracts à caractère politique, régionaliste puis nationaliste, de compositions griffées folk à d’autres plus poétiques. Les années militantes sont incandescentes et les débats sont vifs.

 

L’apiculteur Petru Guelfucci prend du champ et va embrasser une carrière plus personnelle comme le feront d’autres membres de U Cantu, ce caravansérail musical toujours actif qui vit passer au fil des décennies 200 chanteurs. En 1981, à l’instigation d’un Jean-Phillipe Olivi (fondateur du label de même nom), il déploie ses propres chansons. Ce nouveau statut révèle plus encore sa voix d’or aux modulations mélismatiques (les fameuses ricuccate) qui subjuguent. L’album « Isula » sert de transition avant « Corsica » (1991), le superbe « Memoria » (1994), « Vita » (2009) ou « I mo tesori » (2019) dans lequel s’exprime la patte de son compositeur attitré, Christophe Mac-Daniel. Et l’écho de ses chansons dépasse les ambitions initiales du chanteur sermanacciu, comme on le verra avec l’album « Corsica », disque d’or au Québec. A son actif aussi, en 1995, une Victoire de la Musique, pour l’album de Voce di Corsica, « Polyphonies profanes et sacrées », enregistré avec ses complices Mai Pesce, Dumè Leschi, Lurenzu Barolosi, Philippu Rocchi, Adria Olivi. Mais pour l’essentiel, quelques soient ses collaborations (des Nouvelles Polyphonies Corses à la chorégraphe Pietragalla), sa constance fut de transmettre, préserver, réactualiser le chant séculaire. Ainsi en 2005, de pair avec Jean-Paul Poletti et Michèle Guelfucci Glinatsis, proposera-t’il à l’Assemblée de Corse de demander à l’État que le « cantu in paghjella » soit inscrit sur la liste des chefs-d’œuvre du Patrimoine culturel immatériel (P.C.I) de l’humanité. Son inscription sur la liste de sauvegarde de l’Unesco, s’obtenant en 2009. Parcours exemplaire d’un homme humble et constant dont la plus belle chanson, reprises dans de nombreuses langues, avait été écrite, souvenir de l’histoire, pour dire que la Corse était belle, unique, et qu’il fallait qu’on la respecte ainsi que ceux qui l’habitaient.