Michel Noël
Le passeur
Etienne Bours -
Photo ouverture : Rosalie Séguin-Noël
Canada: on vient de retrouver, ce 28 mai, plus de 200 cadavres d’enfants enterrés dans un pensionnat réservé aux jeunes autochtones. Rien de neuf ! cette découverte s’ajoute à d’autres horreurs qui font la gloire du Canada, du colonialisme, de l’Église catholique… plus de 3000 jeunes Amérindiens sont mort dans ces écoles de la honte. Cette horreur, Michel Noël n’a eu de cesse de s’en préoccuper, de la dénoncer, de témoigner aux côtés de ses frères Indiens et Inuit. Il avait d’ailleurs collaboré à la réalisation du film Les tambours d’Abitibi de Paolo Quaregna, un film qui abordait la façon dont on « désindianisait » les autochtones dans les pensionnats…
Mais Michel Noël a lui aussi quitté ce monde en avril de cette année, là-bas au nord de Montréal. Il s’est éteint dans cette nature qu’il aimait tant.
Michel et sa moto de neige - Photo Jean-Eudes Schurr
On a parfois la chance, au cours d’une vie, de rencontrer des gens hors du commun. Je ne vous parle pas de Saints, de vieux sages (seuls les arbres atteignent la sagesse…), de personnages sans défauts. Non mais de ces hommes et femmes qui n’arpentent pas les sentiers battus. De ceux-là qui sont prêts à partager ce qu’ils ont glané. De ceux auprès desquels on apprend au moins à réfléchir autrement, à penser différemment. Michel était une de ces personnes. Et il est bien difficile de trouver les mots qui conviendraient pour le cerner dans sa multiple et pourtant simple personnalité. En partie Algonquin, il a grandi en forêt, dans un milieu dur, austère, froid et chaleureux tout à la fois. Il y a appris à observer, à écouter, à ne pas juger trop vite sans doute, à comprendre la diversité, à chercher l’équilibre. Sorti du bois, il fera des études universitaires en ethnologie puis enseignera avant de devenir un rouage important des questions amérindiennes et inuit au ministère de la culture du Québec. Il va s’atteler à la défense de l’art et de l’artisanat du patrimoine autochtone en mettant ses idées en œuvre pour que soit reconnu un ensemble de savoir-faire ancestraux agrémentés d’idées nouvelles.
Mary Iqaluk et Nellie Echalook pratiquant le chant de gorge (kattajaq)
Le tout en étant extrêmement souvent sur le terrain. Michel n’était pas un homme de bureau. Il aimait partager la vie des camps de chasse, des villages inuit, des expéditions… il aimait dormir sous la tente, cuisiner sur un feu de bois au bord d’une rivière ou d’un lac, quitte à se geler les pieds. Il avait avec ses amis Montagnais, Cris, Inuit, Abenaqui…, car il eut de nombreux amis en ces milieux, le plaisir de palabrer longuement, tranquillement, d’écouter le chant des anciens, de se fondre dans le silence de la toundra ou de la taïga. Il confia très vite ses expériences professionnelles puis plus personnelles à l’écriture. Avec un style d’une efficacité et d’une simplicité qui mériteraient d’être enseignées à tous les écrivains en herbe, il exerçait un véritable talent de conteur.
Ses récits vous emmènent toujours pour une plongée profonde dans un univers qu’il connaît et dont la présence de la nature n’a d’égale que la spiritualité qui en émane. Il laisse, à son décès à 76 ans, des dizaines de publications. Beaucoup sont des romans considérés comme étant destinés aux adolescents. Mais, croyez-moi, les adultes ne s’y ennuient pas et retrouvent bien souvent des histoires dignes de celles de Jack London ou de James Oliver Curwood. On enfonce dans son récit comme dans une neige profonde mais accueillante, on suit la trace qu’il nous dessine et l’on découvre alors des personnages et des destins attachants comme ceux de ces jeunes Indiens si bien décrits dans leurs démêlés avec l’école.
J’ai eu la chance de trouver le contact de ce véritable père Noël en 1986 alors que je préparais un voyage au Québec dans le but d’aller rencontrer des chanteuses Inuit et leurs célèbres chants de gorges dans les villages du grand nord québecois. Il me fallait un contact, une sorte de garantie de pouvoir arriver jusque-là et d’y rencontrer les bonnes personnes. Michel, alors bien en place au ministère de la culture, m’a aidé et m’a guidé. « On ne va pas dans le Nord pour prendre » disait-il, « que vas-tu amener ? ». Nous avons alors entamé une longue collaboration, et une amitié fidèle, qui m’a permis de faire venir des chanteuses Inuit en Europe à plusieurs reprises : Belgique, France, Allemagne, Angleterre… Et bien souvent pour des séances scolaires avec les Jeunesses Musicales. Une expérience extraordinaire pour les uns comme pour les autres, et que nous avons rééditée avec la venue de chanteurs de la communauté Abenaqui.
Michel connaissait tous les chefs et dignitaires, de Max Gros Louis (Huron-Wendat) à Philippe Pietacho (Montagnais-Innu), aux responsables de l’Institut Culturel Avataq dans le nord Inuit, sans compter les nombreux artistes des différentes communautés. Il nous faisait volontiers partager des moments inoubliables avec ces importantes personnalités. Voyager avec Michel, que ce soit au Canada ou en France, était toujours une succession de rencontres, d’échanges, de surprises. Il est venu plus d’une fois à Paris, Lyon, Blagnac… avec des artistes autochtones. Il a collaboré à plus d’une table ronde sur les patrimoines traditionnels. Il a d’ailleurs aidé le Musée des Confluences de Lyon à établir une collection d’artefacts amérindiens. C’est que notre homme n’est pas passé inaperçu. Le rencontrer a toujours signifié vouloir le revoir. On peut en dire de même concernant ses nombreux livres. Lisez-en un, vous aurez envie de lire les autres. Cherchez les biens, il n’est pas évident de les trouver de ce côté de l’océan. Faut-il préciser qu’il a reçu de nombreux prix littéraires ?
Maintenant qu’il nous a quitté, je réalise plus que jamais la somme d’enseignements reçus auprès de lui. Et toujours dans une excellente humeur. L’homme aimait vivre, nous partagions de bonnes bouteilles pour agrémenter sa cuisine naturelle sur la terrasse de son chalet en pleine forêt (il était également passionné par la cuisine autochtone). On devisait de ce monde bien difficile à comprendre en s’aidant de l’esprit des Amérindiens. J’ai eu la chance également de partager avec lui et ses amis Montagnais, un campement au nord de Mingan en plein mois de janvier 1994. On écoutait le vieux chef Pietacho invoquer l’esprit du castor sur son tambour le soir après le repas tandis que ronflait le poêle à bois dont la buse perçait la toile de la tente. Michel aimait être de ces périples, il s’en délectait, faisant avec une extrême facilité le lien entre les Blancs venus de loin et les habitants éternels de ces forêts. Et là, entre les chants et la frappe du tambour, on entendait sa grosse voix qui nous racontait exactement comme il raconte dans ses livres.
Philippe Pietacho chante sous la tente. Photo: Jean-Eudes Schurr
Et tous de l’écouter, cet homme qui aimait être le lien, le passeur. Ce qui l’a animé sans cesse et en profondeur se résume en un mot : la transmission. Toujours dans la dignité, sans artifices et par tous les moyens : la parole d’abord, l’écriture évidemment, mais aussi la peinture, le dessin, le film et bien sûr la musique, toutes disciplines auxquelles il était sensible et dont il rencontrait volontiers les protagonistes. Il ouvrait alors les portes et œuvrait à aider ceux avec lesquels il avait établi des liens de confiance. C’est grâce à cette collaboration fructueuse et à ses conseils et connaissances avisés que nous avons pu organiser deux importantes expositions d’art inuit à Liège – tout devenait possible avec cet homme généreux en partage. On pensait devoir franchir des montagnes escarpées mais il en connaissait les moindres passages et nous guidait là où nous voulions aller.
Michel Noël à Paris en 1999. Photo: Cécile Bertrand
Quand un homme de cette qualité nous quitte, on réalise très vite qu’il restera toujours présent en nous. Sa voix résonne dans nos souvenirs, son talent pour la communication alimente les défauts du nôtre, ses écrits ne quitteront jamais la bibliothèque mais ne prendront pas la poussière…
Merci Michel. Migwetc comme on dit en innu…
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