Lucien Lariche le passionné généreux
Il avait été banquier et comme une évidence il était numismate !
Un jour sa belle collection fut volée…Tristesse, réflexion… Il aimait la danse, Paris et les pièces, donc il devint simplement le spécialiste des jetons de bal au sein de l’Association des Collectionneurs de jetons-monnaie … Si, si, cela existe !
Il y a un bon moment, Jo Privat m’avait dit « Oh ! il faut que tu rencontres mon « banquier » Il va te plaire... » En fait ce n’était son banquier mais un ami qui le conseillait pour ses placements et autres…
Il faut dire que dans les amis de Jo Privat il y avait normalement beaucoup de vieux truands comme ceux que l’on voit en noir et blanc dans les films… C’est avec certains messieurs retirés des voitures que j’ai rencontré un petit monsieur d’un autre monde et sa casquette de marin, que Jo avait forcement affublé de différents surnoms, une spécialité du maitre du musette et du swing. Ce « banquier » s’appelait Lucien Lariche. Il collectionnait les jetons de bal.Il passait des heures et des heures dans les bibliothèques de la ville de Paris pour trouver les traces et reconstituer l’histoire des bals musette à Paris. Et contre toutes attentes ce petit monsieur on ne peut plus discret aimait ce Paris des années 30, les gars et les filles du milieux et ses soirées interlopes.
On découvrit son incroyable travail qui nous enthousiasma nous autres friands de la Capitale et de l’histoire de ses bals. Le Monsieur aimait la convivialité et les bons déjeuners au restaurant qui s’étirent qui s’étirent… Il aimait aussi renseigner les touristes étrangers dans Paris et particulièrement les jeunes dames qu’il abordait avec son humour et son intelligence et à qui il faisait visiter son Paris et finissait par les inviter au restaurant. Je pense qu’il a de nombreux touristes à travers le monde qui n’ont toujours pas compris qui était ce petit bonhomme étonnant, généreux et désintéressé. Avec son association il édita un superbe livre : Les jetons de Bal – 1830/1940, Lieux de danse célèbres et petits bals de quartier (édité par l’Association des Collectionneurs de jetons-monnaie). On leur doit d’autres Ouvrages sur : Monnaies et jetons des Maisons de Tolérance, jetons Militaires…des passionnés ! Dont Lucien Lariche était le président.
Pendant des années l’attachant Lucien fut présent auprès de ses amis, un petit club de passionnés…Des gens capables de parler bal musette pendant des heures si si… Ils existent : Michel Esbelin, Agnés Unterberger, François Gasnault, Yvon Guilcher… rendent hommage à un ami aux qualités rares.
Le Monsieur était tellement discret que depuis son départ on réalise que l’on n’a quasiment pas de photo de lui… Lucien Lariche l’ami indispensable est entré dans les belles cases de nos souvenirs pour toujours.
Yvon Guilcher
« C’est Michel Esbelin qui m‘a fait connaître Lucien Lariche et nous avions pris l’habitude de déjeuner ensemble une ou deux fois par an, seuls ou avec quelques autres amis.
Né en 1930, Lucien ne faisait pas son âge, ni physiquement, ni mentalement et on ne prévoyait pas qu’il allait nous fausser compagnie dès ses 90 ans.
Les échanges avec Lucien Lariche m’ont fait découvrir des choses et réfléchir sur d’autres. Il m’a beaucoup appris sur les bals clandestins à Paris sous l’Occupation allemande et sur les diverses façons de transgresser leur interdiction. Moi qui ne connaissais vraiment ce phénomène que pour le Centre-Bretagne ou les Landes de Gascogne, ça m’obligeait à réviser mon questionnement d’une réalité qui ne joua pas le même rôle en tous lieux et n’a pas eu partout le même impact sur les pratiques populaires.
Nous avons aussi beaucoup échangé sur le dansable et le dansant, distinction qui échappe à beaucoup de musiciens. Mais pas à lui. Il prenait l’exemple du “swing“, apparu dans l’entre-deux-guerres : “tout le monde y voyait une musique particulièrement dansante, mais personne ne savait quoi danser dessus. Car elle était étrangère aux répertoires alors pratiqués et ne se laissait transposer sur aucun“ – remarque qui ouvre des perspectives à toute une réflexion sur le jeu musical.
Outre ce qu’il m’a apporté dans des domaines qu’il connaissait mieux que moi, j’ai été frappé par sa curiosité attentive pour tout ce que j’avais à dire de mon côté, à propos de la danse traditionnelle, de l’enquête de terrain ou des problèmes que posait la réactivation de répertoires disparus.
Je voudrais le remercier pour tout cela, mais aussi pour sa bienveillance, son rire, pour tout ce qui a fait qu’on était bien ensemble et lui dire que sans lui la vie n’a plus tout à fait le même goût. »
Michel Esbelin
« Merci Lucien
Souvent lors de nos conversations, tu m'avais demandé de te tutoyer mais je n'y parvenais pas. Maintenant je m'autorise cette complicité, merci à toi, Lucien.
Merci pour ton amitié fidèle, ta générosité, ta bienveillance malicieuse.
Je n'oublierai jamais les moments partagés avec Didier Roussin, Jo Privat, Claude Dubois et les amis amoureux de l'accordéon, du Paris populaire, tous amateurs du beau Musette.
Souvent je parcours avec plaisir ton ouvrage sur les jetons de bal sans oublier de relire la préface qui est remarquable.
Tu peux compter sur nous pour faire connaître ton travail sur l'histoire des bals populaires, lieux emblématiques de notre culture musicale.
Avec toi, Lucien, on aimait Paris. »
Agnès Unterberger
« Lucien Lariche était d’une grande générosité et d’une grande gentillesse. C’est grâce au « goût de l’archive » que nous sommes d’abord entrés en contact il y a une petite dizaine d’années, pour discuter des sources autour des Auvergnats de Paris, Lucien se montrant toujours disponible pour de multiples questions que soulevait l’exploration des fonds. Je retiens en particulier son rôle dans l’identification du bal Chauvet où jouait Gabriel Ranvier, « premier roi des cabrettaires », au début des années 1900, lors de notre enquête « à suspense » menée avec Fabrice Lenormand. C’est sans hésitation aussi qu’il me prêta gentiment une série de jetons de bal de sa collection, dans le cadre de mon travail préparatoire sur Victor Alard. Son livre Les Jetons de bal, fondé sur une analyse minutieuse de sources, reste une référence pour les recherches historiques sur les bals à Paris. Grâce à lui c’est la vie des quartiers qui resurgit à partir de ce petit objet symbolique, à travers la succession des propriétaires, l’évolution des danses, les faits divers et les réseaux parisiens...
Lucien Lariche aimait le bal, et il était toujours prêt à se réjouir de nouvelles contributions « à la connaissance de la musique et des danses d’une région que nous aimons beaucoup ». C’est l’une des personnes qui m’aura donné envie de poursuivre davantage dans cette voie de la recherche. Il continuera de compter pour tous les amoureux des bals et d’être vivant dans la mémoire de ses amis. »
François Gasnault
« Bon éternel pour une danse avec Lucien
Lucien Lariche est parti discrètement, sans crier gare, il a planté là les danseurs et nous a tous laissés désemparés.
Déjà en octobre dernier, il avait renoncé à se joindre au déjeuner auquel nous le convions deux ou trois fois par an. Par fatigue, par prudence, par délicatesse aussi. Hormis l’inquiétude que nous avions inévitablement éprouvée, sans rien dire du pressentiment que nous avions refoulé, nous avions mesuré comment il nous manquait : ce n’était pas le plus bavard des convives mais outre qu’il parlait beaucoup avec les yeux, et les siens lançaient à jets continus des petits éclairs de malice, il était celui dont les interventions étaient écoutées le plus attentivement. Parce qu’il parlait d’un Paris que nous n’avions pas connu ou pas compris ou beaucoup moins bien que lui, et qu’il nous donnait sans avoir l’air d’y toucher, sur un ton tout sauf professoral, un cours de rattrapage. Plus encore parce qu’on ressentait comme un honneur d’être les auditeurs de son témoignage, livré par bribes, j’allais dire par jetons.
Un intérêt partagé pour les bals publics et pour Belleville nous avait réunis, lui et moi, quelques années plus tôt. La lecture de son livre sur les jetons de bals m’avait impressionné : je connaissais déjà par mes propres recherches sur les bals parisiens du 19e siècle l’existence et le rôle des « donneurs de cachets », délégués par leurs collègues musiciens pour faire payer les danses à l’unité avant de commander aux danseurs les figures du quadrille ou, dans les bals-musette, d’ordonner les évolutions de la bourrée auvergnate. Mais c’est seulement en feuilletant l’ouvrage de Lucien que j’ai compris pourquoi et comment les tenanciers de bals s’étaient substitués aux musiciens et avaient remplacé les cachets par des jetons, valant « bon pour une danse », qu’ils avaient fait frapper au nom de leur établissement pour empêcher la fraude.
Un jour, Lucien est arrivé au restaurant où nous avions nos habitudes avec quelques spécimens de sa collection : j’ai pu ainsi, par le toucher, me connecter physiquement à l’histoire des lieux et des danseurs qui les avaient fréquentés. Je n’ai pas su dire alors à l’homme qui me procurait cette révélation combien elle me bouleversait. Mais il n’est jamais trop tard pour payer sa dette, fût-elle contractée en monnaie dite de fantaisie.
Alors merci l’artiste et bon voyage vers les petits bals perdus puis retrouvés grâce à vous ! Plus jamais la guinguette ne fermera ses volets… »
En cliquant sur la photo ci-dessous découvrez la passion de Lucien Lariche :