
Le VENT DU NORD - Et de 13 !
Voisinages
Philippe Krümm
Faites silence, faites silence, Voici le conte qui commence. Faites silence, faites silence, c'est la queue du chat qui danse, quand le chat il a dansé, quand le coq il a chanté, le silence est arrivé, mon histoire peut commencer : C’est pour vous dire qu’une fois, il y a 25 ans, des jeunes gens se mirent ensemble pour créer un duo et enregistrer un disque « Le Vent du nord est toujours fret... Peu importe de quel bord il vient ! ». 10 octobre 2025 voilà que le 13eme album du Vent du Nord fait son apparition. J’ai eu envie de croiser les gamins devenus grands et de parler de leur 13eme album : Voisinages.
Le Vent du Nord - Photo Annie Diotte
Je surprends Olivier Demers et Nicolas Boulerice, en grande forme, attablés devant une immense partition, étalée sur la table de la cuisine de la charmante maison québécoise de Saint-Antoine de Richelieu.
Salut ! Vous faites quoi ?
Nous transcrivons les coups d’archets nécessaires sur différents de nos morceaux pour les violonistes des orchestres symphoniques !!! Nous sommes des moines copistes. (rires)
Êtes-vous superstitieux ?
(rires)
Olivier Demers : Pas du tout, bien que oui, ce soit notre 13éme album !
Nicolas Boulerice : Ma mère m’a toujours dit que le chiffre 13 portait chance.
O. : Ma grand-mère habitait au 13 eme étage, mais pour aller chez elle, dans l’ascenseur, il n’y avait pas de bouton 13, alors il fallait passer par le 14.
Ensemble : Mais on n’a pas demandé aux autres (rires)
N. : C’est le 13eme album, mais le 10ème fait en studio, si on enlève les disques de concerts et les compilations donc nous avons une annonce pour les superstitieux : « Mesdames, messieurs le 10eme disque du Vent du Nord sort le 10 octobre 2025. Qu’on se le dise ! »
O. : Bien voilà on a tout dit.
Un peu d’histoire : le nom, le Vent du Nord, il apparait comment ?
N. : Pour notre premier disque avec Olivier c’était simplement nos noms. Mais le titre de l’album était ...
O. & N. : En chœur : Le Vent du nord est toujours fret... Peu importe de quel bord il vient ! (rires)
N. : Le nom du groupe c’était le duo Nicolas Boulerice & Olivier Demestre ;
O. : André Marchand nous avait dit « Ouais les gars, votre nom de groupe ça sonne un peu comme une firme d’avocats (Rires) donc par la force des choses le groupe est devenu le Vent du Nord.
N. : Et c’est resté. Au départ ce qui nous a plu avec le Vent du Nord, c’était une partie du titre de notre premier disque, mais surtout, c’était en français, c’était court, il y avait quelque chose de poétique dans : le Vent du Nord. Gilles Vigneault a chanté le vent du nord et on est quand même des Français du nord.
O.: Au début on tournait beaucoup, tout de suite aux Etats-Unis, ça représentait bien le côté francophone du nord de l’Amérique. C’était compréhensible même pour les gens ne parlant pas français.
Le Vent du Nord : Nicolas Boulerice, André "Dédé" Gagné, André Brunet, Réjean Brunet, Olivier Demers - Photo : Anne Diotte
Vous revenez d’une grosse tournée en Europe...Bilan ?
N. : Vraiment une belle tournée, en plus pour nous ce fut une sorte de laboratoire, un galop d’essais pour tester nos nouveaux morceaux, les enchainements. On a pu travailler également notre nouvelle mise en scène.
O. : Maintenant on est prêt, les européens ont été nos cobayes pour tester notre nouvelle offre musicale. (Rires)
N. : Le problème, quand on est en France, avec notre accent, les Français ne comprennent rien et quand on joue chez nous les québécois ils n’écoutent pas les paroles (rires).
O. : Finalement il n’y a pas grand monde qui comprend ce que l’on veut faire.
(Je vous avais dit qu’ils étaient en forme. NDLR)
Simon Baudry - Photo Vicky Michaud
Une révolution chez le Vent du Nord : le départ de Simon Baudry et l’arrivée d’André « Dédé » Gagné ?
N. : C’est quand même marquant pour un groupe, après 20 ans, de faire de tel changement. Simon a quitté le groupe, et c’est assez étonnant car on est tombé sur un nouveau membre qui vient du même village, qui a presque le même âge et qui joue des mêmes instruments.
On s’était dit que tout était possible : homme, femme, saxophoniste, percussionniste... On ne s’interdisait rien dans notre recherche. On était totalement ouvert. « Voyons qui va arriver ? » Et on a trouvé le même ! Mais ils sont totalement différents dans leur jeu, leur caractère, leurs gouts. Dédé Gagné a un autre swing, une autre façon de chanter. C’était quand même assez proche de nous pour que la rencontre soit évidente. Mais il a vraiment apporté de nouvelles couleurs.
O. : Une énergie, une puissance vocale qui est vraiment intéressante. Sur le disque on l’a un peu sorti de sa zone de confort en lui faisant chanter des chansons délicates, avec une certaine fragilité. Ce qu’il n’avait jamais vraiment fait. Dans les morceaux : la lettre, le canotier... Il est plus dans la retenue et on a aimé ça. On a travaillé vraiment différemment avec lui, sa guitare et son bouzouki. On avait beaucoup d’options, il a une grande ouverture musicale, il n’a pas une seule ligne de conduite, de nombreux choix étaient possibles.
N. : Pour partir en tournée sur un rythme comme celui du Vent du Nord, le côté humain est vraiment important. Il faut que l’on ait des valeurs proches. On passe tellement de temps ensemble, on a besoin de personnes qui se comprennent, d’une manière simple et respectueuse, qui se sentent à l’aise avec un groupe qui se côtoie depuis très longtemps. Je pense que l’on a trouvé la bonne personne : un humain et un musicien. C’est un musicien d’expérience qui a fait beaucoup de spectacles, des tournées avec des cirques, mais peu de tournées à l’internationale avec un groupe de musiciens. Il a été très ouvert avec en même temps une vraie personnalité qui amène beaucoup au groupe. Il découvre notre façon de travailler et cela se passe facilement, la fusion est créative et fluide.
O. : Rentrer dans un groupe qui roule depuis 23 ans, c’est rentrer dans une synergie éprouvée, des routines de tournées, des savoirs faire acquis au fil du temps. Comment gérer les déplacements en mini-bus, les aéroports ?... Tous nos transports avec le matériel... C’est une multitude de reflexes, là il s’est rendu compte qu’il entrait dans une structure qui était déjà en mouvement avec ses routines. L’adaptation a été réciproque avec une grande facilité. Un bel échange, tant sur scène que sur la route ou dans les airs. (Rires)
Comment se passe la mise en jeu d’un nouvel album ?
N. : Quand on termine un disque... On en commence un autre. C’est surtout vrai pour Olivier et moi qui amenons toujours beaucoup de matériel musical. Pour celui-ci, ça fait deux ans que tous les éléments sont en vrac dans nos cartons.
O. : On savait qu’entre autres, avec l’arrivée d’un nouveau membre, il nous fallait un disque solide. On avait beaucoup de matériel et comme cela on avait le temps de laisser murirent certaines idées. Quand Simon nous a annoncé sa volonté de partir pour de nouvelles aventures, le moment était parfait pour ne pas mettre le groupe au pied du mur... Dans l’embarras : « Le groupe va commencer un nouveau processus de création dont je ne ferais pas parti, donc vous pouvez commencer à travailler avec quelqu’un d’autre. » Nous avions un délai relativement confortable pour préparer notre nouvel album, un nouveau spectacle, travailler également sur la commercialisation de l’année 2026 et pouvoir exposer notre nouveau projet auprès des diffuseurs ... Il fallait que l’on montre que nous étions toujours dans la création.
Et comment avancez-vous sur un nouveau projet ?
N. : On se met autour d’une table et chacun fait état de ses projets musicaux, de ses envies, de ses idées. Du trad, de la création... Parfois ce ne sont juste que des bribes d’idées...C’est très ouvert, donc toutes les propositions fusent, c’est très créatif. (Rires). On a un son, une façon de faire, d’harmoniser...
Et cela ne vous limite pas ?
O.: On en a conscience, on essaye de faire évoluer, mais pas de bouleverser nos harmonies, notre signature sonore.
N. : Avec les instrumentaux on travaille sur une centaine de propositions, après cela évolue.
O. : Puis on arrive à 30/40 morceaux. Parfois il y a une chanson que l’on trouve super, mais parfois on la met de côté pour un prochain disque, pour ne pas faire double emploi pour ne pas faire de redondance dans les thèmes.
On a le jeu de trouver ce que nous n’avons jamais chanté, surtout pour les thèmes, les histoires... Ne pas raconter toujours la même chose. Les éléments se placent tranquillement. Dédé nous a proposé : le Canotier, une chanson très populaire à une certaine époque mais que l’on n’entend plus de nos jours. Le coté chansonnier de Dédé apportait une autre manière d’aborder les thèmes, une autre manière de chanter, dans ce disque elle avait sa place. Chaque nouveau disque est vraiment un jeu d’équilibre entre des créations avec un point de vue contemporain et des musiques historiques. On ne veut pas perdre de vu la tradition, donc cela nous prend un minimum de chanson d’oralité ou d’airs anonymes. C’est un joli jeu pour faire de la place à une nouvelle voix, aux instrumentaux : à la vielle, à l’accordéon, aux violons, au bouzouki, à la guitare, aux voix, aux tapeux de pieds...Tout le monde à sa place. À nous de trouver les bons endroits, les bons moments. On commence souvent avec une base qui peut être une grille d’accords proposée par Nicolas ou moi sur des chansons, pour des suites de reels, après quand on est tous les 5 ensemble, on essaye tout. Et là parfois, cela ne bouge pas ou à d’autres fois les idées fusent.
Olivier Demers, Geneviève Nadaud (administratrice de la compagnie du nord) - Nicolas Boulerice - Photo Vicky Michaud
Comment organisez-vous vos temps de créations et de répétitions ?
O. : Depuis 23 ans on rêve de s’enfermer dans un beau lieu, sans téléphone. Pour une grande session. Pour ce dernier disque on a commencé un petit peu avant, mais le processus de création a vraiment débuté en janvier 25. On a eu 4/5 mois pour faire 25 répétitions, ce qui est une sorte de norme dans le processus de création du groupe.
N. : En général on travail de 9h30 à 15h. C’est à partir du moment où le répertoire est choisi. Chaque répétition est différente, Olivier est certainement le meilleur arrangeur du groupe, il a toujours de nombreuses propositions d’orchestrations.
O. : À la fin de la journée on enregistre avec un téléphone la version 1, et là à la maison, je transcris sur partition notre travail pour qu’à la prochaine répétition on parte précisément du travail que l’on avait effectué. Tout est noté. A chaque évolution je remets la partition à jour. Ce n’est pas l’écriture qui génère les arrangements.
N. : C’est comme un job d’archiviste, il note la mémoire musicale des créations du groupes.
O. : Ce que j’aime bien dans ce processus, même si on arrange sur le tas, de manière orale, quand on l’écrit on se rend vraiment compte des faiblesses des passages qui font moins sens dans notre musique. C’est là que je peux proposer un arrangement, un passage de voix qui va faire encore plus de lien dans le morceau.
N. : Avec le temps, on a des routines, des procédés qui nous semblent simples car chacun y a sa place. On connait tous nos forces et nos faiblesses. Pour ce disque la découverte fut réciproque entre Dédé et nous. On s’arrange pour que tout le monde soit à l’aise, que ce soit fluide. Il n’y a aucun interdit dans la période de création, chacun apporte ce qu’il veut ou ce qu’il lui semble intéressant, toujours dans la limite de son style, de sa technique.
Tout le monde lit la musique ?
N. : Tout le monde, surtout avec le temps, est capable avec plus ou moins de facilité de se retrouver sur une partition. André, Olivier et moi on a étudié en musique, alors oui, on a peut-être plus d’aisance avec la partition mais pour aucun des membres du groupe c’est un frein ou une difficulté. Ce qui est amusant c’est que nous, on ne fait plus de jazz, donc on lit de moins en moins de partitions. Récemment on a joué pour une musique de film et quand le compositeur m’a donné la partition, là j’ai dit « tabarouette ! » ça faisait longtemps que je n’avais pas travaillé en lisant une partition au complet.
André Brunet - Photo Vicky Michaud
Dans quel studio enregistrez-vous ?
N. : Ça fait 4 albums que nous faisons au studio Piccolo. ( https://studiopiccolo.com/ ) Grâce à la salle principale qui nous accueille, on s’y sent bien, la musique vit bien dans ce studio et selon nous c’est le meilleur studio au Québec. C’est vraiment très confortable. Charles-Émile Beaudin, l’ingénieur du son, sait qu’il est peut-être plus cher que les autres mais tu rentres ton disque en 6 jours au lieu de plus d’une dizaine à d’autres endroits.
O. : Oui 6 jours, le 7eme on s’est reposé (rires). Non c’était pour vraiment prendre le temps de tout réécouter. On est tous les 5 dans la même pièce. On joue vraiment ensemble, les mixes dans nos casques sont parfaits.
N. : Seule la voix principale vient après. Quand je suis piano voix, je fais d’abord le piano puis la voix ou parfois le contraire. C’est la seule chose en rere, sinon tout le reste est enregistré en simultané, comme un live. Ça donne vraiment une cohésion, on a vraiment travaillé fort avec Charles-Émile pour l’amener dans le son que nous voulions, mais c’est vraiment un bon technicien et je crois que le résultat s’entend. C’est un jeune très au fait du son du nord de l’Amérique : indé folk. On le tire vers notre idée du trad ...Et on y arrive sans problème. Bien qu’il vienne d’un autre monde musical avec ses oreilles différentes des nôtres. Je crois que l’on est arrivé à réaliser un de nos meilleurs albums. Le son est vraiment ce que l’on voulait. Il commence à nous connaitre.
Sur quel type de piano as-tu enregistré ?
N. : Un grand piano à queue. J’adore jouer sur ce genre de bête : un 9 pieds comme on dit chez nous. En spectacle malheureusement pour des raisons pratiques et de budgets je joue sur un piano électrique, mais en studio je me fais vraiment plaisir. Il est parfaitement isolé. Il ne mange pas les autres instruments. Je pense que cela s’entend sur le disque, le piano a les bonnes vibrations.
Dans le disque précèdent « Vingt printemps » il y avait un hommage au sirop d’érable, dans ce disque l’hommage au Québec c’est fleuve ?
N. : Oui ! Peut être : Fleuve, c’est vraiment la chanson qui s’éloigne le plus des airs trad. Je l’avais proposée au gars en n’étant pas du tout certain qu’elle pouvait s’intégrer dans notre programme.
O. : C’est assez loin du répertoire « classique » du Vent du Nord, mais c’est une maudite belle chanson.
N. : C’est vrai que le fleuve, le Saint Laurent, est le cœur de notre pays, on vit tous autour, c’est la mère de tous les peuples amérindiens. C’est important de le chanter, c’est une sorte d’exercice de style d’aller jouer un peu ailleurs, on n’est pas sur les reels ou les gigues, pas sur la chanson à répondre... Mais il y a dans ce texte ce qui nous tient à cœur sur la passation et l’oralité.
O. : C’est la suite logique d’Amériquois qui parlait des francophones d’Amérique qui ont navigués sur toutes les rivières et le fleuve, c'est un peu ce qui nous reste de notre histoire.
Jean-Claude Mirandette - Photo DR
Vous faites également un hommage à Jean-Claude Mirandette (1956-2019)
https://www.5planetes.com/fr/actualites/jean-claude-mirandette-une-grande-voix-vient-de-se-taire
N. : C'est le neveu de Jean-Claude Mirandette, Yoan B Filliol qui un jour nous a dit : « Ce serait chouette que vous fassiez un clin d’œil à Jean-Claude en chantant « Une nuit dans les auberges »... » On a tout de suite pensé que c’était une belle idée de pouvoir jouer cette chanson qui est en plus inédite, c’était un ami, un porteur de tradition vraiment marquant, un créateur important au Québec pour beaucoup de musiciens, dont nous. C’est Dédé qui la chante lui qui vient d’un village proche de celui de Jean-Claude. C’était une belle occasion de rendre hommage à Jean-Claude Mirandette...
Comment se porte la scène trad au Québec ?
N. : J’aime autant ne pas répondre à cette question (rires)
O. : Je peux me mouiller un peu... Il y a une très belle relève amateur. Il y a beaucoup de jeunes qui jouent de la musique traditionnelle pour le plaisir, des violoneux, des accordéonistes, des chanteurs... Ils aiment vraiment ce qu’ils font. C’est certainement mieux qu’il y a 25 ans, mais au point de vue professionnel, d’amener ces chansons et ces airs sur les planches pour faire des tournées, j’ai l’impression que nous sommes dans le creux de la vague.
C’est étonnant cette dualité. Il y a 25 ans il y avait beaucoup de professionnels et un peu moins d’amateurs. Peut-être qu’avec l’avènement de la diffusion numérique, les Spotify et autres, pour les jeunes musiciens c’est moins attirant, plus difficiles, on entend partout que les musiciens ne gagnent plus leur vie.
Donc j’ai vraiment l’impression que les jeunes sont moins attirés par le métier de musicien.
Quand Nico et moi nous avions 18 ans, on voulait devenir musicien. On savait que c’était possible, il y avait des portes ouvertes. À l’époque, il y en avait une cession de musique par mois à Montréal avec les mêmes 15 personnes... Alors qu'aujourd’hui il y en a partout et c’est plein de jeunes. Ça a viré de bord. Mais le nombre de formations qui décident de créer un son et de vivre de leur musique sont beaucoup plus rares On se ramasse avec les mêmes, ceux de notre époque : les chauffeurs à pied, les galants tu perds ton temps... Pour trouver des jeunes prometteurs il faut quand même les chercher ... Dans les festivals comme : Mémoire et Racines, Chants de Vielles, la Veillée de l’avant-veille... Pour les groupes québécois on se pose chaque année la question et de plus en plus : « Qui est capable de faire ce genre de scène ? », On constate que le choix est restreint, que c’est toujours un peu les mêmes depuis des années. Pourtant les jeunes jouent et dansent de plus en plus !
Quand on a commencé, il y avait plein de scènes pour les groupes en devenir, pour leur permettre de se faire les dents, d’apprendre à se produire sur scène : Comment se comporter devant un public, travailler sa signature sonore, comment se sonoriser... Maitriser l’univers de la scène. De nos jours un jeune musicien n’a plus ces options, aujourd’hui tu dois payer pour jouer dans les petits bars, les petites salles. Il est difficile de nos jours de se former sur le tas. Les jeunes qui ont suivi une formation dans les écoles veulent tout de suite se retrouver sur une scène, sans avoir cette formation de groupe, sans avoir gravit tous les échelons des petites scènes à celles des grands festivals.
Rejean Brunet - Photo Vicky Michaud
N. : Je me trompe peut-être mais faire un groupe, mettre en commun des idées... Pour cela il faut être capable de mettre de l’eau dans son vin, il faut être capable de laisser une place aux autres membres du groupe, être capable de discuter, d’argumenter, parfois de tenir tête aux autres, faire un groupe ça prend un jeu de partage qui est très intéressant, voire super intéressant, mais ça, tu ne l’apprends pas dans les écoles mais sur le terrain, en bâtissant ton spectacle et en le confrontant au public. Les jeunes sont d’excellents musiciens parce qu’ils pratiquent beaucoup, mais souvent seul. Créer un groupe ce n’est pas juste Jouer d’un instrument avec d’autres. On voit souvent des musiciens meilleurs que nous, ça fait longtemps qu’on le sait (rires), mais d’être capable de mettre en commun ses forces et ses faiblesses c’est beaucoup plus complexe.
O. : Aux États-Unis il y a une femme d’environ 25 ans qui vient me voir, une Américaine, une fan du groupe, elle connait toutes nos chansons. Elle me demande « As-tu un conseil à me donner pour pouvoir faire ce que vous faites ? » « Trouve tes complices, tes collègues avec qui tu vas vouloir partager. Tu dois être sur la même longueur d’onde, sur le même désir de fonder un groupe et c’est vraiment cela qui est difficile. » Je reviens souvent à l’époque où l’on a commencé, c’est ce que je connais le mieux. On habitait en ville, on avait un 5 ½ avec trois chambres à coucher qui coutait 450 dollars. On pouvait faire 4/5000 balles par années et on s’en tirait bien. On allait boire le soir notre petite bière à deux dollars, c’était correcte. Maintenant prendre un appartement pour des jeunes, en ville c’est 1500 dollars et 10/12 dollars pour prendre un verre. Ce n’est plus la même époque. C’est fou. Ils sont tout de suite obligés d’avoir un emploi fixe. Ils ne peuvent plus vivre naïvement comme on le faisait en jouant de la musique en groupe.
Constituer un groupe ça prend une période de 4/5 ans où tu te vois tous les jours pour bâtir une formation, un son, un répertoire avec une originalité, une personnalité, faut avoir ce temps là pour créer. Aujourd’hui les jeunes n'ont plus cette option. Il faut bien vivre et en 2025 je fais peut-être 10/15 fois le salaire que je faisais à 18 ans, mais malgré cela, je ne pourrais plus habiter à Montréal dans le même logement !!
Vous aimez bien faire des rencontres musicales, il y en a une dont vous rêvez ?
N. : Ce n’est pas un rêve, mais en pensant souveraineté pour le Québec, en imaginant ce que le Vent du Nord pourrait bien faire pour participer à cette mouvance-là, cela fait longtemps que j’imagine qu’il y aurait quelque chose à faire avec Peter Gabriel et son label : Real World, label peut-être pas aussi à la mode que dans les années 80, mais j’ai l’impression que le Québec n’est pas présent sur la scène world Music. https://realworldrecords.com/
O. : La musique du monde est souvent une musique qui est parfois perçue comme exotique et d’avoir 5 garçons blancs d’Amérique c’est très peu considéré comme de la musique du monde... Mais notre culture est unique, avec une façon de jouer, une mémoire, une langue, l’histoire d’une enclave au milieu des anglophones.
Et devenir le 51eme état d’Amérique ?
N. : On a hâte de devenir le 51éme état des États-Unis ça nous permettra de devenir la première république francophone d’Amérique (Rires)
Le Vent du Nord « Voisinages » - Sortie le 10 octobre 2025