Jean-Michel Corgeron & Friends
« Monsieur tablature »
François Saddi
Il est de ces musiciens qui, incontournables acteurs de l’histoire du folk en France depuis quelques décennies, ont permis à ce mouvement d’exister et de se développer par des actions aux longs cours.
Photo ouverture + photo ci-dessus : Marie Corgeron
Jean-Michel Corgeron a fait partie de l’équipe de Trad Magazine depuis sa création en 1988 à sa fin en 2017. Il y était "Monsieur tablatures et partitions pour l’accordéon" et nombre de jeunes et moins jeunes accordéonistes ont appris à jouer de leur instrument un peu grâce à lui. Il a, depuis la fin des années 80, initié ou fait partie de nombreuses formations comme Dulceline, Bouffée d’Airs, Ballet de sorcières, Dialto, Duo t’en Bal, Irland’airs…
Avec son association Franches Connexions, il produit depuis 1998 nombre de recueils de tablatures et partitions ainsi qu’une dizaine de CD dont un magnifique dernier album paru en 2018, "Le pas sage" signé Jean-Michel Corgeron & Friends. Prenons quelques instants pour faire plus ample connaissance avec ce musicien discret :
Pour commencer, peux-tu décrire à grands traits ton parcours depuis le début des années 70, tu as commencé par la guitare je crois…
Oui, accompagnement de chansons à la guitare : J’avais 15 ans, c’était le temps, de ma première guitare… Puis du picking grâce à la sortie du disque 33T "La Guitare à Dadi" (avec tablatures). J’ai pris quelques cours avec Jack Ada, Didier Large… et joué souvent avec Alain Soubrier (guitare), Michel Bigrel (flûte traversière), compagnons musicaux de cette époque. J’ai continué ma pratique instrumentale avec le dulcimer auprès de Michel Legoubé, Marc Robine et John Molineux, l’accordéon diatonique grâce à Marc Perrone et à plusieurs animateurs d’ateliers et de stages, le mélodéon avec Normand Miron, Gilles Poutoux et Laurent Jarry, et enfin l’harmonica diatonique en m’inspirant des jeux de Brendan Power, Bruno Kowalczyk et Alain Chatry. Ce sont ces instruments que je pratique régulièrement.
J’ai également joué, de façon plus ponctuelle, d’autres instruments à cordes : banjo 4 et 5 cordes, hammer dulcimer, psaltérion à archet.
Y’a t’il eu des moments ou des rencontres déterminantes ?
Au magasin "Folk Quincampoix" à Paris, j’ai découvert le dulcimer auprès de Michel Legoubé. Il venait de sortir le 33T "Blanche fleur" (avec tablatures pour guitare et dulcimer). Il m’a appris notamment "Le Parlement", un thème que je joue toujours en bal et en concert. Cette musique se danse en branle sur une chorégraphie proposée par Brigitte Coupé.
C’est avec cet instrument que j’ai mis le pied dans le monde du folk en essayant de faire danser avec. Et pour faire danser, quoi de mieux que d’apprendre à danser. J’ai donc suivi pendant un an les ateliers de danses organisés par l’association Renouveau des Danses d’Expression Populaire (RDEP) de Paris. RDEP proposait également des instruments en prêt et à l’été 1982, Jean-Noël Phal m’a laissé temporairement son instrument avec le recueil de répertoire de Denis Le Vraux. Merci Jean-Noël !
Tu es le concepteur d’un système de tablatures pour accordéon diatonique. Peux-tu revenir sur ce qui t’a motivé à l’inventer ? Une alternative et/ou un complément à la notation universelle qu’est la partition ?
Mon apprentissage de la guitare et du dulcimer a toujours été accompagné de tablatures qui représentent physiquement l’instrument. La tablature de guitare comporte 6 lignes correspondant aux 6 cordes et celle du dulcimer 3 ou 4 lignes correspondant aux 3 ou 4 cordes. Dès que j’ai mis les mains sur le diato, j’ai créé un système de tablatures représentant les rangées de l’instrument, n’étant pas convaincu par le système proposé dans le recueil qui m’avait été prêté. Comme il y a deux notes différentes sur chaque bouton, l’une obtenue en tirant, l’autre en poussant, j’ai proposé que tout ce qui est joué en tiré soit souligné d’un tiret (j’aime bien les jeux de mots). Par conséquent, ce qui n’est pas souligné est joué en poussé.
Ce système est polyvalent et peut s’adapter à tous les modèles (mélodéon, 2 rangs, 3 rangs). C’est un système visuel adapté à la structure de l’instrument. Ce que j’avais nommé dans un premier temps "système rangées" est désormais appelé "système Corgeron" par les utilisateurs (accordéonistes, logiciels, méthodes et recueils).
Quelques mots maintenant sur l’aventure Trad’Mag ?
De 1984 à 1988, j’ai collaboré avec la revue "Le Tambourineur", ancêtre de "Trad Magazine", ainsi qu’avec d’autres revues (Anche Libre, Courants d’airs…). J’y proposais dans chaque numéro des transcriptions pour accordéon diatonique. Je voudrais remercier ici chaleureusement Roland Delassus qui m’a fait confiance. Nous avons ensemble réalisé plusieurs Hors-Série qui ont apporté des finances non négligeables à la revue. D’avoir élaboré ce système de tablatures m’a mis en contact avec de nombreux musiciens (Bernard Lasbleiz, Daniel Denécheau, Frédéric Paris, Bruno Le Tron, François Heim, Norbert Pignol, Stéphane Milleret, Philippe Plard, Emmanuel Pariselle, Groupe Sans Gain, Laurent Barray, Gilles Poutoux, Michaël Auger…) avec lesquels j’ai réalisé méthodes et cahiers de répertoire.
Les revues de Folk ont toujours laissé une place à l’écrit (partitions, tablatures) et après "Le Tambourineur", j’ai continué à proposer des transcriptions à partir des albums que les groupes ou musiciens me donnaient. Certains lecteurs de la revue se sont manifestés pour demander des extraits musicaux pour d’autres instruments. C’est à partir de ce moment-là que j’ai proposé la rubrique "Morceaux choisis" avec simplement des partitions, n’étant pas moi-même pratiquant d’autres instruments tels que violon, vielle à roue, cornemuse…. Merci à tous pour leur précieuse collaboration.
A quel moment as-tu fondé l’association Franches Connexions, avec qui et pourquoi ?
"Franches Connexions" est d’abord le titre d’un madison que j’ai composé en 1994 et dédié à Christine et Didier Boyer, lequel avait travaillé sur l’accordéon diatonique MIDI. Avec Vincent de Greef, violoniste qui m’accompagne depuis de nombreuses années dans nombre de projets musicaux, nous avons repris ce nom pour l’association créée en 1998, structure prévue initialement pour être le support juridique et commercial des disques de Ballet de Sorcières et de Bouffée d’Airs. D’autres productions (CD, recueils) sont depuis venues compléter les propositions musicales.
Quid des dernières publications, les 2 livrets de compositions de Bruno Le Tron notamment ? Et les futures à paraître ?
Depuis 2017, c’est désormais Franches Connexions qui publie mes différents recueils de répertoire. Je n’ai pas véritablement de plan établi pour travailler avec tel musicien ou tel autre. C’est plutôt le résultat de rencontres avec des accordéonistes que j’apprécie en tant que musicien mais surtout en tant que personne. Et évidemment, il y a le répertoire qu’ils proposent. Pour les deux premiers volumes parus en 2017, j’ai fait appel à Gilles Poutoux, un des spécialistes français en musique irlandaise.
Ensuite, Laurent Jarry (La Boîte d’Accordéon – Montreuil) m’a mis en contact avec Frank Sears, un excellent musicien, connaisseur du répertoire traditionnel québécois, avec lequel nous avons réalisé en 2018 deux recueils qui ont obtenu le prix Mnémo au Québec. Dans le DVD on y trouve également les accompagnements et les playbacks de piano interprétés par Lise Beauchemin et Frank Sears.
Lors d’un Grand bal de l’Europe, à Gennetines, j’ai demandé à Michaël Auger de me proposer un répertoire de sa région Vendée-Poitou. Les deux premiers volumes sont sortis en 2019, les volumes 3&4 seront réalisés ultérieurement. Enfin, avec Bruno le Tron, nous avons réalisé le recueil "Valhermeil" en 1994 (TradEdition puis Paris Accordéon). Ce recueil étant épuisé, on a décidé de proposer 80 de ses compositions en 2020. Il a développé tout un univers bien personnel avec plein d’éléments musicaux et techniques pour le diato.
Les collections éditées par Franches Connexions ont les caractéristiques communes suivantes : C’est le musicien qui propose le répertoire, avec mission de varier le genre de morceaux, la difficulté, les tonalités, le type de jeu. Il réalise les vidéos en gros plan et propose les illustrations, généralement des photos. Un support CD ou DVD est joint à chaque recueil.
De mon côté, je réalise toutes les transcriptions en "système Corgeron" qui comprennent la partition et les accords associés, le doigté utilisé sur la vidéo, le jeu de main droite en tablature, le jeu de la main gauche. Quand c’est nécessaire, je complète les transcriptions avec des variations, des commentaires et des références d’enregistrement. La réalisation des couvertures est confiée à une graphiste. Je m’occupe de la mise ne page, du suivi de la fabrication des recueils, CD ou DVD, des déclarations officielles, du financement, de la promotion et de la diffusion.
Venons-en maintenant à tes dernières productions au disque avec ces 3 CD, Irland’airs, Trio Jaconor et "Le pas sage" ?
"Irland’airs" est dédié à la musique irlandaise. J’y joue principalement du mélodéon et de l’harmonica aux côtés de Béatrice Špoutil (piano), Emmanuèle Large (violon) et Gilbert Large (banjo). Notre répertoire se compose majoritairement de thèmes traditionnels irlandais, et principalement, de suites de jigs, sans arrangements particuliers, un peu comme si elles étaient jouées en session. Le CD est souvent utilisé dans le cadre d’ateliers de danses. Avec ce répertoire, nous avons eu l’occasion d’animer des ateliers de danses à Gennetines (cercle circassien et autres mixers) avec Emmanuelle Delépine.
"Trio Jaconor" est autour de la musique québécoise avec Laurent Jarry (mélodéon) et Steve Normandin (piano). J’y pratique l’harmonica. Notre répertoire est basé majoritairement sur le fonds ancien du répertoire québécois instrumental avec quelques compositions plus récentes (Philippe Bruneau, Michel Faubert) qui font désormais partie du répertoire traditionnel.
"Le pas sage" (cf chronique) a été réalisé pour mes 60 ans et mon départ en retraite professionnelle mais pas musicale. Après avoir participé à plusieurs formations musicales, c’est le premier CD en mon nom. La plupart des thèmes sont de ma composition. Merci à tous les ami.e.s qui y ont contribué en y apportant leur patte musicale. Dans ce CD de "passage", de "passe âge", ou "pas sage" (le jeu de mot provient à l’origine de "Cédez le passage"), j’ai utilisé tous les instruments que je pratique aujourd’hui (accordéons diatoniques, mélodéon, harmonicas diatoniques, dulcimer) en solo, duo, trio ou autre formation. J’ai invité des musicien.ne.s que j’apprécie aussi humainement et qui ont apporté des couleurs chaleureuses à mon projet : Vincent de Greef (violon 5 cordes), Laurent Jarry (accordéon diatonique 1 rangée), Emmanuèle Large (violon), Gilbert Large (banjo), Steve Normandin (accordéon chromatique), Marc Rouvé (guitare classique), Aurèle Špoutil (saxophone alto), Béatrice Špoutil(piano), Maud Špoutil (viole de gambe), Philippe Vieslet (contrebasse).
Mes compositions sont destinées à la danse traditionnelle (ou folk). On peut donc y retrouver : bourrées à 3 temps, branle du Parlement, chapelloise, jigs, mazurkas, mazurka à 5 temps, rondeau à 2, scottish, scottish impaire, valse, valse à 5 temps, valse à 10 temps.
Je me rends compte, alors que nous sommes presque arrivés au terme de cette interview que nous avons beaucoup parlé de musique mais très peu de pédagogie alors que tu as consacré une bonne partie de ta longue carrière aux autres et à la transmission… En effet, dès que j’ai pratiqué un instrument (guitare, dulcimer, accordéon diatonique, harmonica diatonique), j’ai rapidement voulu retransmettre ce que j’avais appris.
Cela a commencé par quelques cours (notamment à RDEP) puis quelques stages. Et en parallèle, j’ai proposé des transcriptions dans différentes revues. Mon système de notation a été un catalyseur de toute cette action me permettant d’être régulièrement au contact d’excellents musiciens. Je me considère toujours comme un passeur après plus de 35 ans de pédagogie. La musique a toujours été une passion mais pas un métier.
Ayant été professionnellement responsable d’un service Organisation & Méthodes, et très tôt utilisateur de l’informatique, je n’ai eu de cesse de remettre en question, si nécessaire, ce qui était proposé et de construire des outils pédagogiques adaptés aux instruments pratiqués. Évidemment, cela n’a pas été toujours simple, mais au bout du compte, au vu des milliers de recueils vendus par Trad Magazine, je me dis que j’ai apporté quelques pierres à l’édifice. Et cela continue avec Franches Connexions…
Quelques mots sur l’impact de la crise sanitaire actuelle sur ton activité et plus généralement sur celle des musiciens de la scène Folk et Trad…?
Juste avant le confinement, dans notre village de Touraine, à Francueil, nous avons organisé un bal folk qui a remporté un franc succès. Mais depuis mars 2020, plus de stages, de bals, de concert, de stands… confinement oblige. Seul internet permet de garder le lien. J’ai de la peine pour tous ceux qui en vivent et ceux qui en ont fait un art de vivre (musiciens, danseurs, organisateurs, techniciens…). Souhaitons que cette crise soit gérée au mieux et que chacun retrouve au plus tôt de l’énergie pour la musique et la danse.
Les projets pour demain et un peu plus loin ?
D’autres recueils de répertoire sont déjà en route… Une méthode d’accordéon reflétant plus de 30 ans de pédagogie… Un site internet sur l’accordéon diatonique (en cours d’alimentation mais non disponible pour l’instant). Pas de quoi m’ennuyer pour quelques années !
Et pour plus d’information :
https://www.franchesconnexions.com/musiciens/jean-michel-corgeron