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Des mondes de musiques

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Gregory Jolivet

Vielleux au-delà des frontières musicales

Philippe Krümm - ( Photo ouverture Marc A. Deckery)

Dans le monde foisonnant de la vielle à roue il y a forcément des musiciens qui par leurs personnalités, leurs styles de jeux font évoluer l’instrument, le propulsant dans le 21ème siècle. Valentin Clastrier fut un des premiers à bousculer le monde de l’instrument à roue, Gregory Jolivet en prolonge le lumineux chemin musical. Quelques questions au vielleux sur sa musique et ses luthiers.

 

Gregory Jolivet - Chants de Vielles - Saint-Antoine sur Richelieu - Québec- 2024 - Photo Vicky Michaud . 

 

Comment rencontres-tu la vielle ?

Gamin, à la bibliothèque de mon village. Il y avait des cds de musiques trad, j’écoutais de la musique bretonne. C’est le disque Bleu Nuit (1988) de Gilles Chabenat qui m’a tout de suite accroché.

Je voulais entrer au conservatoire de Bourges pour devenir musicien pro ! C’était déjà acté. J’avais 11 ans. Au début je voulais jouer de la cornemuse du centre mais à l’époque il n’y avait pas encore de cours. Je suis rentré au conservatoire avec Laurent Bitaud.

Laurent Bitaud - Photo DR

La semaine de ma rentrée, j’ai également rencontré Laurent Fosset, vielleux, couturier et chorégraphe de danses trad... La vielle m’a plu tout de suite, surtout sa sonorité. Ma mère m’a offert le disque de Valentin Clastrier. (La vielle à roue de l’imaginaire - Auvidis - 84). J’ai 13 ans. Là c’est le choc !

J’ai passé mon adolescence à écouter tous les albums de Valentin Clastrier, de Gérard Siracusa, Louis Sclavis, Michael Rissler... J’avais tous leurs CDs. Dans l’année qui a suivi j’ai eu un prix hors concours à Gannat. Je faisais des compositions sans savoir encore bien jouer, là je rencontre Patrick Bouffard.

 

Ta première vielle ?

On m’avait prêté une Camac en plastique avec les touches en fer. L’instrument ne m’a jamais fait peur. J’apprenais tout en même temps. J’étais un peu trop pressé... Tout était loin d’être génial (Rires). J’ai très vite commencé à régler l’instrument, à sortir les limes, à faire des capodastres en bois pour avoir d’autres tonalités, à faire des chiens en alu. Quand j’étais en stage de 3eme, Laurent Bitaud me disait « fais attention tu vas casser la table ! » (Rires). Je voulais faire aussi de la lutherie. J’ai vraiment eu un début de parcours sur les réglages Rencontrer les « maîtres » de l’instrument comme « Gilles Chabenat ou Nigel Eaton a été super déterminant dans mes choix et mes envies musicales pendant mes 5 années de conservatoire.

 

Tu as de nombreuses influences ?

Les guitaristes de blues. Ce sont des musiciens issus de la tradition orale. J’achetais énormément de cd et de cassettes. J’essayais, à l’oreille, de reproduire et de comprendre... Mais pour Clastrier, c’était très chaud. J’avais essayé de m’imprégner des sons de chacun. J’étais au début en sol/do, après je suis passé en ré. J’ai eu 5 vielles en 5 ans ! Les vielles ont évolué avec mon style et mes connaissances.

À la fin de ma première année j’ai eu une vielle d’étude en sol/do, une Galopin et Burette, prêtée par le Conservatoire d’Orléans. Après ce sera une magnifique Éric Fouillé en ré. Ma première vielle à moi, dont j’ai cassé le plumier en faisant des percussions. La 3eme année ce fut une Claude Le Gallou aves 3 chanterelles et un micro Piezo. En 94, j’achète mon premier ampli et ma première guitare électrique, type Ibanez, trois micros, simple bobinage. C’est déterminant, car toutes mes vielles, ensuite, auront des micros à bobinages.

L’amplification m’intéresse. Je commence également à maquetter chez moi. J’avais un micro sur ma chaine-stéréo pour m’enregistrer, après, je mettais une deuxième cassette pour pouvoir maquetter en deux pistes ! Vu que je commence à faire un peu plus de bal, je rachète la vielle de Stéphane Durand, entre-temps, en 95, j’avais fait 3eme au concours des Maitres Sonneurs de Saint-Chartier en présentant un blues avec une vielle de Bernard Kerboeuf avec 3 chanterelles pour aller un peu plus loin.

 

Première scène ?

À 13 ans, avec ma Le Gallou, dans un bar à Lapan, avec un groupe de rap : Listen Again ! J’étais aussi batteur. En fait, j’ai débuté la scène en même temps que je commençais à jouer. Je gagne le concours à Saint Chartier en 96 avec la vielle de Stéphane. Avec l’argent du concours, Je vais à Pigalle... Le paradis des guitaristes, j’achète ma première guitare acoustique : une Jasmine.

C’est également à cette période que je commence à aller en Angleterre. J’écoutais assidument Blowzabella, que j’avais rencontré à Saint-Chartier.

Blowzabella "historique". Nigel Eaton à la vielle.

Laurent Bitaud joue dans le Viellistic Orchestra il m’y entraine en 97. Je joue à « l’espace plus » de Saint-Chartier avec Tradicelte. Là j’avais ma vielle alto. Je disais à Laurent « Dans mon cursus j’aimerai bien faire du rock, du métal ...De la musique électro-acoustique, travailler sur l’amplification ». Je ne sais pas pourquoi, certainement le fait d’être entouré d’une telle diversité : Dédale, Blowzabella... L’émulation des groupes comme la Chavannée, les Brayauds que des styles totalement différents.

Pour le travail avec le Viellistic de Pascal Lefeuvre je voulais une vielle plus grave. Au départ j’avais rencontré Denis Siorat. Je n’avais pas fait de commande, mais tous les ans à Saint-Chartier, on parlait de mon projet. C’était dans l’air du temps, il y avait Jacques Grandchamp qui en avait fait, Jean-Claude Boudet également. Si tu regardes dans les traités de musiques anciennes, l’histoire de la vielle, c’est aussi un élément qui m’intéresse, on voit des vielles augmentant vers le bas, mais dans le livre de Françoise et Daniel Sinier de Ridder (1) on trouve aussi des modèles qui vont vers le haut, comme chez un luthier autrichien et également Sébastien Tourny

 

Pascal Lefeuvre. Photo DR

En 96/97 on avait en gros qu’une sorte de modèle alto. Il y avait un pupitre spécial dans le Viellistic. Lorsque j’ai entendu et essayé le modèle alto de Philippe Mousnier qu’il avait fabriqué en collaboration avec Pascal Lefeuvre. J’ai su que c’était la bonne.

En fait il m’a fallu apprendre à travailler la transposition. A ce moment il y avait aussi la possibilité de travailler en électro-acoustique. Ce qui m’intéressait c’était vraiment le son, le timbre. J’étais assez polyvalent : de la musique ancienne, e pense aux albums de Trefontane au Grunge (Rires) En 97, Je n’avais plus de soprano et du coup je ne me posais plus la question de quelle vielle utiliser.

J’adaptais mon nouvel instrument à ce que je voulais jouer. J’étais repassé en do/fa. Je jouais avec Tradicelte presque tous les WE. Je finissais ma médaille d’or au conservatoire et je rentrais dans Claysheep, un groupe de grunge, dans le style Pearl Jam avec un violoniste, un guitariste et un chanteur. Le violoniste est aujourd’hui facteur de cornemuses : Thomas Deneuville, il est  à New-York, il fabrique des uillean-pipes... Un personnage, il est passé par plein de trucs, même chanteur d’opéra !

C’est là que mon instrument devient un instrument préparé. On en discutait beaucoup avec Gilles Chabenat. On doit s’adapter, quand tu fais du trad, c’est la tonalité, tu es dans tes bourdons. J’ai travaillé longtemps la transposition sur mes albums.

Je le fais encore, en fait avec le groupe grunge on ne se posait pas la question : « Est-ce que l’on joue en ré ou en sol ? » Et du coup, toutes les tonalités étaient présentes : mi bémol, fa dièse... Pas de limite. Il n’y avait pas de mélodie de routine tout s’adaptait avec les guitares. On peut dire que l’on était moins modal. Nous étions quand même bourdonnant, mais on tordait les bourdons.

En 97 c’est également la période : nouvelle lutherie. Je passe en ré. J’ai commandé des instruments chez Bernard Kerboeuf et aussi chez Jean-Claude Boudet comme : Thierry Noailles, Laurence Pincemaille, Thierry Bruneau, Anne-Lise foy...Il y avait une vraie émulation, c’était la période du trio Patrick Bouffard

C’était en complément de ce que je faisais avec mon alto, toujours a travailler le répertoire du Viellistic. J’apprends la dissociation avec Laurent Bitaud et je trouve que c’est confortable d’enfin voyager léger, donc j’apprends à transposer en sol/do, un grand boulot d’adaptation très intéressant. En 98 j’obtiens mon DEM (médaille d’or)

 

Et aujourd’hui ?

Après 30 ans de pratiques, je joue toujours dans des tonalités différentes mais il y a la stabilité de l’instrument. Je joue avec des tables vibrantes, mon clavier est réglé d’une certaine façon. Il y a des tonalités que je pratique beaucoup moins. Entre temps, j’ai eu plein de vielles comme ma grande vielle bleue. On est un peu les pilotes d’essais de Mousnier avec entre autres Romain Baudouin.

 

Tu es donc un collectionneur de vielles ?

Non ! Elles ont toutes été revendues. Je n’ai pas de murs couverts de vielles... Mais j’en ai quand même encore six. (Rires)  

 

Blowzabella aujourd'hui à droite Gregory - Photo : b-lieve.be

Après il y a deux décennies avec une vielle électrique, j’ai toujours ma bleue. Je joue beaucoup en acoustique. Je fais beaucoup de choses : impro, bal avec Blowzabella. 

J’ai quelques expériences avec des effets mais là où je commence vraiment à travailler l’amplification c’est en 2006. Je mets des micros électriques en collaboration avec Philippe Mousnier et Romain Baudoin. Des micros qui permettent d’isoler chaque corde. On fait le modèle « Olive » qui est plus petit que la grande 4XB de Mousnier et du coup entre 2008 et 2012/13, je publie énormément sur internet. J’oublie le coté CD. Je commence à travailler la vielle amplifiée, avec des compositions, des boucles, énormément de taping et des choses très bourdonnantes.

Je travaille sur l’amplification et à la place de morceaux de collectages, j’écoute de la musique anglaise et américaine tout le courant Noise, Rock Indé : Sonic Youth, Bloody Valentine, Tortoise et aussi plus historique Neil Young. J’aime travailler avec ce matériel. J’ai sortie sur Youtube : la « Reine Menthe » le morceau fait une 1h 45 à la vielle électro, où j’exploite au maximum ma vielle grâce à mes compositions.

Je mélange aussi des guitares électriques. En termes de lutherie, j’ai acquis une basse précision, une basse picolo et je viens d’acheter un ukulélé bariton. J’ai aussi un banjo ténor et une guitare Telecaster. Je continue de travailler la guitare. Cela me sert pour la composition. Ce sont des outils. Je les sors rarement sur scène.

Je fais des bandes son de documentaires. Chez moi j’ai un tout petit studio deux pistes et un ordinateur (Rires). Je fais des musiques sur ordi depuis 2007. Les pages internet m’ont permis d’exposer ce que je faisais. Mais j’ai fait plus de 30 albums. Je suis passé dans les vieux maintenant (rires).

Plus jeune, je n’avais pas toujours le temps et les budgets pour produire mes albums, internet autorise une forme de diffusion de mon travail, hors trad via le réseau des musiques actuelles. Même si je suis suivi par le milieu. J’ai rencontré une guitariste newyorkaise Kaki King qui m’a beaucoup influencée pour mon jeu de vielle. Elle fait beaucoup de taping. Maintenant, c’est l’école de jeu à deux mains sur un manche de guitare 2010/2015.  Elle est l’élève de Preston Reed qui est à Glasgow

 

 

J’ai fait les Transmusicale de Rennes sur un format plus techno avec Olivier Thillou dans Organic Banana

Quand l’Artus de Romain Baudouin est sorti j’ai acheté une Philippe Mousnier mais je n’ai pas le temps de m’en servir (rires). Ensuite 2013/2014 avant 2017 j’ai demandé un clavier sur ma vielle que l’on a appelé « la Jolivette », l’engin à taping. Je m’en sers maintenant dans la Machine, version concert. Le disque du groupe va sortir cette semaine (Fin juin 2024). Ce clavier double me permet beaucoup d’adaptations, toujours très bourdonnantes, ça évite des désaccordages. J’utilise la jolivette pour jouer à l’archet ou faire des pizzicatos.

 La Machine - Photo Julien Guez

 

Comment définirais-tu la Machine ?

C’est un groupe qui fait de la musique « Centre-France-Afro-Cubaine », tout en restant très modal !

 

As-tu un intérêt pour la musique ancienne ?

Pendant le confinement j’ai écouté Tobie Miller et François Lazarevitch. Jeune, je n’avais jamais fait de musique baroque, mais j’étais très sensible à ce répertoire : Playford, Chedeville... Un nouveau répertoire, retour aux sources d’avant les sources.

J’ai commencé à m’intéresser au jeu et au tempéraments inégaux, à réduire certaines tonalités, des tonalités moins sonores et qui font mal aux doigts...(Rires). J’ai commandé, chez Sébastien Tourny, une vielle baroque. Il a fait une copie en mixte d’une Varquain et d’une Louvet.

Sinon, toujours des stages Centre France, des compositions... Je ne lâche rien mais c’est tout un univers qui s’ouvre à moi. Entre 2018 et 2020, j’enregistre Osmose qui est mon troisième album solo. Je reviens sur la vielle violette après avoir écouté beaucoup de musique baroque qui m’a inspirée dans le son et dans le jeu.

J’enregistre mon cd en mélangeant les sources électriques, les sources qui sont sur ampli dans une autres pièces plus une prise acoustique de l’instrument pour bénéficier de tous les espaces sonores de l’instrument et de la mise en avant des harmoniques.

En fait il y a peu de distorsion et de drive, il y a des octaveurs sur les bourdons, un peu de taping, mais c’est quand même du plein-jeu. J’enlève le Doubleur qui me bloque, en fait je reviens à quelque chose de plus acoustique, après les boucles, je l’avais arrêté en 2015. Je pratique la plongée en apnée, mais avant de plonger tu fais un peu de yoga, un peu de respiration Toujours un travail sur la tonalité. Umberto Pelizzari le grand apnéiste pense à des couleurs pour se relaxer. Du coup je frôle la musicaux thérapie La dominante serait verte et bleue : ce sont les poumons. Le fa et le sol, c’est la gorge. J’aime bien : vert, bleu, violet

 

La vielle en France ?

Pas mal de jeunes se mettent à jouer avec des parcours diplômants, avant de se lancer dans l’intermittence, beaucoup sont curieux de ce que l’on a apporté et questionnent l’histoire de la musique pour la vielle à roue.

J’en parle souvent. Nos élèves, on les emmène jouer avec Jean-Claude Laporte qui est le dernier élève de Gaston Guillemain. On essaye de temps en temps de faire jouer les anciens avec nous sur scène et aussi d’échanger avec eux. On a des pratiques différentes mais on échange beaucoup. J’emmène toujours quelques sources pour faire écouter. On se rend compte qu’entre les vielles et le jeu 16/17/18eme et aujourd’hui c’est tout un monde, donc il y a beaucoup de choses à proposer qui se complètent avec la musique à danser, si on est sur des esthétique de terroir.

 

Un duo de rêve ? 

J’ai déjà réalisé des choses pas faisables, beaucoup de mes rêves musicaux ...Mais je dirais avec Neil Young et une rencontre musicale avec Tobie Miller...

 

Quelles sont tes instruments aujourd’hui ?

Je voulais ma vielle préférée en double, pour ma sécurité. Avant de partir en retraite Philippe Mousnier et Perigurdy https://perigurdy.fr/ m’ont fait la jumelle de ma vielle avec table vibrante. Je suis sur des sons qui sont entre deux mais toujours avec un grain acoustique.

La curiosité de l’autre est importante pour progresser. Avec la musique commerciale d’aujourd’hui on perd beaucoup de choses. J’aime découvrir et apprendre... Aujourd’hui je suis redevenu étudiant.

 

 

(1) Françoise & Daniel Sinier de Ridder - Les vielles à roue françaises du XVIIIe siècle, Exceptions culturelles et usages de lutherieAuto-édition – 2022 - https://www.sinier-de-ridder.com/livres_eng.html