Festival de festivals…
Ne cherchez pas : le festival parfait n’existe pas !
Etienne Bours
L’été vient de passer en trombe, chaud, ensoleillé, tropical, caniculaire. Et, avec lui, son lot de festivals de musiques. Chaque année ça me reprend et plus jamais ne me surprend : il faut que j’aille en essayer un autre.
Avec quelques vieux camarades de la culture, nous avions osé commettre en notre petit pays belge une publication sur les festivals de musique. Nous voulions être critiques et sortir de ces articles béats qui encensent ces « événements indispensables et rassembleurs » où tout le monde il est beau et gentil. Dans cette publication, votre serviteur a commis un long dossier qui tente de dépeindre ce phénomène estival en rappelant sans cesse qu’il ne faudrait pas oublier qu’il s’agit, devrait s’agir, avant tout de musique. Pour les besoins de ce travail, j’avais interrogé 120 membres du public au festival Esparanzah (à Floreffe en Belgique). 95% m’ont dit qu’ils venaient là pour faire la fête. « Et la musique ? » : un ingrédient de la fête sans plus. Seuls quelques-uns m’ont cité des noms d’artistes qu’ils venaient voir, expliquant que c’était là la raison de leur présence. J’ai lu, depuis lors, d’autres articles disant que le public ne vient pas majoritairement pour la musique. Ce dossier publié en 2016 n’a pas plu à tout le monde. Fallait-il le préciser ? Certains organisateurs de grands rassemblements du genre m’ont vraisemblablement banni de leur carnet d’adresse. C’est qu’on ne touche pas aux festivals de musique, c’est sacré, c’est indispensable, nécessaire, irremplaçable. Les musiciens en ont besoin, le public en demande, les sponsors en bavent, les pouvoirs publics en font des rêves mouillés. Chacun veut son festival, il faut que ça bouge, que ça grouille, que le tissu économique s’en étoffe, que le tourisme se développe, que les regards se tournent vers la région, la ville, le lieu dit. Amenez-nous du monde, c’est-à-dire des consommateurs, et que ça chauffe.
Et pourtant, même les professionnels sont de moins en moins dupes. Mais continuent, c’est leur gagne-pain et certains gagnent bien. On a pu lire le commentaire de certains d’entre eux dans Le Parisien :
« On est en train d’industrialiser le modèle économique des festivals et de devenir comme la Ligue 1 de football » dit Jérôme Tréhorel, directeur général des Vieilles Charrues. Selon lui, les festivals de musique sont en pleine mutation, tombant dans les mains de multinationales comme Live Nation (qui est côté en bourse évidemment).
Sans blague ? On n’avait rien remarqué ! Là-dessus, ils soulignent quand même que les tarifs imposés par certains groupes sont scandaleux. Ils ajoutent que tout devient trop cher, trop difficile, qu’il faut dépenser de plus en plus pour la sécurité… Mais le même Tréhorel estime que les festivals ont un bel avenir et qu’ils sont indispensables pour le public au point que « cela devrait être remboursé par la sécurité sociale ». Faut pas charruer Tréhorel… : 280.000 festivaliers cette année, budget artistique de 4,5 millions d’euros !!! Mais notre fier directeur termine en précisant que « au-delà d’un projet artistique, il est surtout question de développement d’un territoire ». C’est bien ce qu’on disait.
Musique dans le port -photo Christine Breuls-
Alors, toute cette réflexion menée d’année en année m’a amené au festival Temps Fête de Douarnenez cet été. Je n’avais encore jamais assisté à cet événement qui ne se déroule qu’un an sur deux. Cette fête n’a pas la prétention d’être un festival musical à 100%. Il s’agit d’un rassemblement de bateaux d’origines et de styles divers, vieux gréements, voiliers de toutes sortes, bateaux historiques… la fête se passe sur l’eau, dans le port, sur les quais. C’est Douarnenez qui se souvient de son passé, parfois même de ses luttes. Les organisateurs ont greffé sur ce rassemblement une programmation musicale assez éclectique mais concentrée sur les diverses évolutions actuelles de musiques aux origines traditionnelles. C’est donc un festival qui programme à la fois ce que d’aucuns appellent du folk et ce que d’autres appellent de la world. On peut y ajouter la chanson, tout simplement.
Première remarque très positive : l’entrée payante pour cinq jours est de 20 euros. Vous avez bien lu, et c’est moins cher encore en famille. Alors là, il faut le crier haut et fort : chapeau. La plupart des festivals pratiquent des tarifs de plus en plus scandaleux et s’en foutent puisque des milliers de bouffeurs de fêtes s’y ruent quitte à dépenser plusieurs centaines d’euros sur un week-end. Douarnenez est sans doute un cas assez unique et il faut le souligner. Les concerts se déroulent en plein air, sur deux scènes avec une sonorisation très équilibrée.
Lalala Napoli - photo Christine Breuls -
Petit coup de coeur en passant : l’excellent concert de Lalala Napoli (groupe de François Castiello, ex-membre de Bratsch pour ceux qui auraient oublié le talent de cet accordéoniste par ailleurs bon chanteur). Et puis une mention particulière pour le Chant des Sardinières de Marie-Aline Lagadic et Klervi Rivière qu’il faut écouter encore et encore (même loin de Douarnenez).
le Chant des Sardinières de Marie-Aline Lagadic et Klervi Rivière -photo Christine Breuls-
Bref : que du bonheur… Enfin presque parce que nous sommes dans un festival et que le festival parfait n’existe pas. Le temps était superbe, vous le savez, on l’a dit, on l’a vu et on l’a senti. Mais nous sommes en Bretagne et tout Breton digne de l’être sait que, là comme en montagne, tout peut basculer en quelques heures. Ce que provoqua Eole en venant soudain souffler sur la région pour y pousser ses bourrasques, ses embruns et ses averses de pluie. Le dernier jour du festival était bien plus que chagrin et la fête se mit à patauger puis s’enliser. Finies les sorties en mer, on peut le comprendre. Mais les concerts ? Voilà que l’amateur de musique réalise que la grande scène n’est fermée sur aucun côté. Assister à des concerts sous la pluie, nous l’avons tous fait et supporté mais cela devenait impossible puisque la scène n’était pas équipée pour protéger musiciens et matériel comme ils devraient l’être en un pays souvent humide. D’où période de flottement… Gilles Servat va-t-il ou non chanter et, si oui, où ? Idem pour Altan deux heures plus tard. Et là, on se rend compte que les organisateurs sont dans l’improvisation. Ils ont tout misé sur le beau temps. On va donc opter pour une solution plutôt bancale (mais qui évite l’annulation des concerts) : un repli sous un chapiteau bar trop petit pour le public venu massivement écouter ce cher Servat.
Altan -photo Christine Breuls-
Un chapiteau où le public qui a réussi à entrer n’a vu aucun musicien ni chanteur parce qu’ils étaient assis et que personne n’avait prévu une scène dans un coin de cette tente pour y placer les musiciens en cas de grain ! Pire encore : un chapiteau où le bar a continué à fonctionner pendant les concerts. Mairead Ni Mhaonaigh, chanteuse d’Altan, n’arrivait pas à communiquer tranquillement. Elle fit bien plusieurs remarques sur le bruit agaçant qui régnait en cet antre mais rien n’y fit. Seuls les membres du public entassés comme des sardines (normal en cette ville mais quand même) devant les musiciens ont pu, un peu, très peu, profiter de ce concert. Il faut dire que l’organisation de ces deux concerts abrités dans la précipitation était plus que bizarre. Il faudra qu’on m’explique pourquoi il fallait réussir à se faufiler entre cinq membres de la sécurité formant un barrage filtrant pour simplement aller acheter un CD de Gilles Servat ou lui serrer la pince. Pas compris, mais alors pas du tout. Y aurait-il une fatwa sur Servat ?
J’entends évidemment les organisateurs me faire le reproche d’être trop sévère. Du style : « On ne pouvait pas prévoir le changement de météo !». Un peu facile comme argument. Il est des festivals où tout se fait dehors et tant pis pour les averses, crachins ou orages calamiteux. Le public y va en connaissance de cause et assiste aux concerts sous la pluie, fut-elle diluvienne. Parce que les scènes sont conçues pour permettre de maintenir les concerts. Sauf en cas de tempête grave évidemment ! Non, je ne suis pas trop sévère. J’ai vu et entendu le public de Servat, ils avaient payé leur place et ne parvenaient même pas à entrer dans le chapiteau, ils restaient dehors sous la pluie, l’oreille collée à la toile pour capter un peu de ses chansons. Ils auraient volontiers accepté de braver l’intempérie pour l’écouter en le voyant. Et que dire des chanteurs et musiciens qui sont obligés de jouer dans de telles conditions ? J’ai senti Altan ramer à contre courant pour donner une juste idée de leur talent.
Dommage, très dommage. Peut mieux faire, comme on dit.
Un festival qui programme de bonnes musiques pour un public qui s’en réjouit doit avant tout penser à cette équation musiciens-public. Elle fut parfaite durant quatre jours et catastrophique le dernier jour. Cela étant dit pour être honnête et faire ce que je considère encore être mon boulot de témoin. Mais je reste amateur de ce beau festival à tarif intelligent. La convivialité y était sincère dès qu’on se cantonnait au public et aux exposants ou autres tenanciers de stands « normaux », lambda si vous voulez. En explorant les divers pontons auxquels étaient amarrés toutes sortes de bateaux, on finissait assez facilement par trouver quelques superbes voiliers où se déroulaient des drinks destinés aux people – la face de la fête qui ne reste jamais cachée et qui rappelle toutes les remarques déjà faites. Surtout, chers habitants de Douarnenez, quand on y croise madame Stein, une avocate internationale qui a tout revendu à Paris pour tout acheter à Douarnenez – enfin pas encore tout mais attention, elle a déjà mis la main sur l’ancien abris des marins (Souvenez-vous, les éditions du Chasse-Marée y ont séjourné) et sur l’énorme usine de mise en boîte proche du port (ancienne usine Chancerelle). Douarnenez deviendrait, à terme et grâce à cette grande mécène, une ville d’art contemporain numérique. Vouloir faire de cette ville si souvent baignée d’une lumière à nulle autre pareille, une ville des lumières artificielles, c’est assez amusant. Enfin jusqu’à un certain point. Et je constate que nombre d’habitants sont en train de réagir, de demander autre chose, de parler d’une vraie révolution culturelle, de ne pas apprécier les liens existants entre argent et art contemporain… C’est ce Douarnenez accroché à ses valeurs sociales, à sa simplicité humaine que j’aimerais voir continuer ce festival consacré à la mer et aux musiques. Avec simplement une meilleure organisation pour éviter qu’une météo chafouine vienne encore brouiller les signaux qui doivent passer entre musiciens et public. Et que Douarnenez reste Douarnenez !!!
Le port de Douarnenez -photo Christine Breuls-