Ethnotest
Du jour où Jane a dit oui à Tarzan
Epistemologix
Du jour où Jane a dit oui à Tarzan, elle est restée vivre dans la forêt. Cela dit, elle n’est pas devenue hirsute pour autant. Non, non, sa chevelure permanentée, son discret mascara, permettent de la distinguer facilement de Chita, par exemple. D’autant que Chita est à poil. Pas Jane, toujours pimpante dans ses robes faites avec trois fois rien.
Tarzan étant plutôt du genre sylvestre, on se serait attendu à ce que Jane se sauvageonne quelque peu. Qu’elle se lâche, quoi. Histoire de s’adapter à l’homme dont elle adopte le style de vie, au total plutôt bohème. Qu’elle imite son cri, se propulse de liane en liane, dévore crues les proies qu’elle attrape.
Eh bien pas du tout. Plutôt que de se convertir à la forêt, elle l’aménage. Elle y transplante son petit chez soi. Là, c’est la chambre, là, la cuisine – ma cuisine, bien sûr. Et voici la salle à manger, entre deux grosses branches. Tarzan ? A table ! C’est servi ! On sent que le frigo va suivre, c’est certain. Après, ce sera la télé, le PC, le smartphone. Un petit bureau peut-être, pour faire les comptes du ménage. Ce qui manque, c’est les chiottes. On n’en repère nulle part. On ne voit personne y aller, dans le film. Mais il doit bien y en avoir quelque part. Car vous n’imaginez quand même pas Jane en train de…Non, il y en a forcément. Simplement, on ne nous les montre pas.
Le seul qui s’acculture là-dedans, c’est l’homme-singe. Il est de moins en moins singe et de plus en plus homme. Jane lui inculque le langage, dont il domine déjà les mots clés : en fait, voilà, clairement, après, pas de souci, etc. On va bientôt pouvoir le sortir des bois. On le fait d’ailleurs. D’accord, il se sent un peu en porte-à-faux, au départ. Un peu gauche. Mais moins que King Kong, finalement. Et puis cette escapade dans le monde civilisé, ça reste une excursion. Il se languit de la forêt, le gars. Parce que ce qu’il trouve ici, il le trouve aussi là-bas, désormais. En plus cosy. C’est là qu’il jouit pleinement de la civilisation. Le même qu’à la ville, mais en plus champêtre, en plus bobo. La forêt est devenue une résidence secondaire où l’on se délocalise la vie privée, loin des emmerdes, loin des magouilles, avec un minimum de confor, au sein d’un environnement naturel, riche en ombrages, en clairières et pourvu de piscines en tout genre. De sorte que Jane, en nous rejouant la Belle et la Bête, réalise sans avoir l’air d’y toucher le vieux rêve des humoristes : construire la ville à la campagne.
La seule qui échappe au projet, c’est Chita. Elle reste ce qu’elle est et c’est pour ça qu’on l’aime. On l’aimerait moins s’il lui prenait l’envie de se syndiquer, par exemple (avec qui ?) et de faire grève. On veille juste, très gentiment, à l’expulser de l’apart si elle y tape l’incruste. Le tout est de lui tracer nettement les limites de son biotope et de son terrain de jeux. De contrôler ses initiatives. Si on s’attache à elle, c’est pour deux raisons essentielles : un, elle rend service quand on a besoin d’elle ; deux, elle fait rire. Surtout quand elle a des comportements qui nous évoquent ceux des humains, dont on ne lui en veut pas de ne pas faire partie. Au contraire. Là, c’est la poilade ! On se croirait chez Walt Disney.
Bref, Chita est une esclave bouffonne. Et à ce titre, elle ne diffère guère de Bécassine, la domestique à la fois dévouée et sotte, à laquelle son auteur a oublié de dessiner une bouche. Mais dont le “solide bon sens populaire“ – qui a tant à nous apprendre – trouve néanmoins accès à la parole : celle de ses maîtres.