Ethnotest
Retrouvailles
Epistemologix
Elle et moi, on se connait depuis toujours. Depuis avant notre naissance, pour tout dire. On était destiné l’un à l’autre et on le savait. Je me nourrissais d’elle, elle de moi et on ne se quittait pas. C’est même parce qu’on était heureux ensemble qu’on n’avait pas envie de naitre.
Dieu nous contemplait avec un sourire indulgent et ne s’impatientait pas. Mais enfin quand même, disait-il, il ne faut pas abuser. L’éternité, c’est pour plus tard. Avant, il y a le temps. Et le temps, c’est des saisons, des âges, de la croissance et du vieillissement. Des civilisations qui meurent. Et puis le temps qui passe, c’est aussi le temps qu’il fait. Il n’y a pas que du soleil et du ciel bleu (sauf sur les pubs des promoteurs immobiliers). Il y a la pluie, le vent, le brouillard et la grêle (sauf sur les pubs des promoteurs immobiliers). Et des fois, ça caille (sauf sur les pubs des promoteurs immobiliers). Mais bon, il arrive un moment où quand faut y aller, faut y aller. Ce moment est venu, les enfants. Fin de la récré.
Alors on s’est regardé, elle et moi. On s’est demandé : - on y va ensemble ? – Non, s’est-on répondu, ça ferait jaser. Il vaut mieux qu’on arrive séparément en faisant semblant de ne pas se connaitre. Qu’on ait l’air de se rencontrer par hasard. Plutôt que par nécessité. Et personne ne saura que le hasard, c’est la nécessité qui se promène incognito. Je te demanderai ton nom, tu me demanderas le mien et on fera gaffe à se vouvoyer en public. Au moins au début.
Restait à décider lequel de nous deux allait naitre le premier. Le sort est tombé sur elle. Elle a dit : - n’attends pas trop avant de me rejoindre ! J’ai besoin de toi. Ne me laisse pas vieillir. – Juste ce qu’il faudra, ai-je répondu. Mais même si tu as vieilli, je te reconnaitrai. Car tu auras toujours mon âge.
Elle est donc partie.
Je ne suis arrivé que 120 ans plus tard. On s’est reconnu tout de suite. Et on n’en finit plus de se redécouvrir. Au point qu’on en vient à se demander si ce n’est pas cela au fond, l’éternité : ne jamais finir d’explorer l’autre, dans tout ce qui fait que l’autre n’est pas vous. Dans sa voix et dans son chant, dans son rire et sa danse, dans le regard que chacun porte sur les choses de la vie. La vraie vie. La vie éternelle. Celle qui se moque des modes successives et des liturgies psalmodiées. Car Dieu n’aime pas les liturgies. Il se méfie des religions. S’il nous a créés à son image, ce n’est pas pour qu’on y substitue de l’imagerie. Il n’y a qu’un seul dieu, tout le monde le sait : les chrétiens, les musulmans, les israélites sont d’accord là-dessus. Et s’il n’y en a qu’un, c’est forcément le même pour tous. Le problème, c’est seulement que chacun s’en fait une idée différente. Tandis que “la tradition“ c’est le contraire : tout le monde s’en fait la même idée, alors qu’elle est plurielle et différente. Comme quoi tous les chemins mènent à l’erreur. C’est un point commun à la religion et au revivalisme. Lequel n’est qu’une religion parmi d’autres. En fait, Dieu et “la tradition“, c’est la même chose : tant qu’on ne les voit nulle part, on les adore ; mais s’ils s’incarnent, on les crucifie.
Car trop d’humain tue l’humain. Or l’humain, ça reste le seul chemin qui conduise à Dieu. Lequel n’existe pas. Sauf en nous. Donc dans l’autre. Qui est nous, quelque part. Mais autrement.
Levons-nous, mes frères, pour la lecture de l’épitre aux Circassiens.