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Des mondes de musiques

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Ethnotest

Américonneries franchouillardes

Epistemologix

Les séries policières, il y en a des bonnes et des mauvaises.

Gardons les bonnes pour la fin : les mauvaises, c’est celles qui s’en remettent à l’intelligence policière de découvrir la vérité. Le détective y est un intello hypothéticodéductif, qui joint le sens de l’observation à l’indépendance d’esprit. Ça vous a un parfum vaguement culturel. Donc élitiste. Peu d’action. On s’endort, ou alors on zappe. C’est le cas de Columbo, de Maigret et de leurs avatars britanniques ou scandinaves.

C’est en zappant qu’on tombe sur les bonnes séries. Les jubilatoires. Celles dont l’image d’appel nous montre toujours la même chose, invariable, inlassablement répétée, incontournable, inexorable, obligatoire et clonée à l’infini : un mec qui brandit un flingue. Lequel mec peut être une nana. L’important, c’est le flingue. On comprend tout de suite que c’est lui qui va résoudre tous les problèmes. Même si on ne connait pas encore la nature des problèmes. C’est-à-dire que la solution précède le problème. Un peu comme dans les contes merveilleux de grand-maman : le héros sauve la vie à un poisson, sans savoir encore qu’on lui demandera plus tard d’aller chercher une bague au fond de l’océan. Or qui c’est qui va la lui rapporter, cette bague ? Le poisson. Bref, on a les réponses avant les questions. Le polar des petits fils à grand-maman a seulement remplacé le poisson par un flingue.

Côté climat, l’américonnerie franchouillarde – car c’est de cela qu’il s’agit – fourmille de gyrophares, de dérapages contrôlés, de viols horribles, de mutilations atroces et d’exécutions sans état d’âme. En cas de procès, on y dit “objection, votre Honneur“, invoque le cinquième amendement et la commission rogatoire devient “mandat de perquisition“. A force de s’y habituer, on se sent chez nous. Avec le risque que la vie tout d’un coup se mette à imiter l’art. Donc l’artifice.

L’enquête policière y est confiée à une équipe de détectives, au casting respectueux des quotas : il y a toujours une femme, un black et un médecin légiste. Le reste, c’est des figurants. A noter que la femme peut être, black. Et vice versa. Le médecin légiste est de sexe variable, mais déterminé : docteur ou docteure. Et le chef peut être une cheffe. Quant aux figurants, ils incluent volontiers un vieux – qu’on consulte, mais qui n’agit pas : il attend la retraite – ce qui permet d’accueillir dans le casting un acteur de 75 ans - ; un emmerdeur haut placé, qui a des relations, ne pense qu’à sa carrière et exige du résultat, tout en ménageant les sur-chefs dont il dépend. Cet emmerdeur peut être une emmerdeure. Procureur, par exemple. Ou procureure : il n’y a pas de sexe pour entraver une enquête. Les sous-chefs sont des jeunes gens actifs, les sous-cheffes des poupées Barbie. Tous ces gens-là peuvent avoir des divergences entre eux, mais enfin ils sont les bons, les gentils. On s’attache à eux parce qu’ils sont très humains. Ils ont souvent une vie privée qui nous les rend proches : un gosse adolescent à gérer, une ancienne liaison dont on n’est pas totalement guéri. Les mauvais, les méchants, c’est les autres. Ceux qu’on va flinguer.

L’enquête proprement dite commence par “alors, qu’est-ce qu’on a ? “. Réponse : rien. Une victime atrocement éviscérée (après viol préalable si c’est une femme), dont on ignore l’identité. Pas de sang sur le macadam. Les sous-chefs émettent quelques propositions hasardeuses : “un crime de rôdeur, de toute évidence “ ; “ un suicide, visiblement “ ; “un serial killer, probablement “. Mais le/la chef/fe hoche la tête d‘un air songeur : “ un suicidé ne s’éviscère pas plus qu’il ne se viole ; et un seul meurtre ne suffit pas à conjecturer un serial killer “. Les subalternes, admiratifs, opinent du sous-chef.

Et là, tout s’accélère : “ chef, on a les résultats du test ADN “ ; “ chef, on a le relevé du portable de la victime “ ; “ chef, on a retrouvé la voiture de location “ ; “ chef, on a visionné les caméras de surveillance “ ; “ chef, on a un témoin qui a reconnu le portrait-robot “ ; “chef, l’alibi de Glandu comporte un trou de 35 minutes “ ; “ chef, on a le rapport du médecin légiste “.

Le rapport du médecin légiste est toujours décisif. Aussi prudent que compétent, il refuse de se prononcer sur l’heure et les causes de la mort avant d’avoir pratiqué l’autopsie. Mais ça valait le coup d’attendre. Car ce gars-là a décelé sous les ongles de pieds du cadavre des traces de globuline apodextrosique subantérosalicinale, substance mortelle qu’on ne trouve qu’à Sumatra chez certains insectes en voie de disparition. Et en plus, il établit que les blessures et le viol éventuel ont été infligés post mortem, mais que la victime était encore vivante quand on l’a éviscérée. Ce qui pose un sacré problème. Les pas-chefs : “ donc on a affaire à un détraqué. Un malade mental, de toute évidence “. Mais le/la chef/e, l’air pensif : “ ça pourrait vouloir dire surtout que le corps a été déplacé et que la victime a été tuée ailleurs “. Le pas-chef opine et de hasarde à la déduction insuffisante : “ un cambrioleur qui aura été surpris, c’est clair “. Scepticisme du chef : “ ou alors on peut penser que la victime connaissait son agresseur et lui aura ouvert la porte. Il n’y a pas de traces d’effraction “. Le pas-chef opine derechef.

Toutes ces informations permettent vite de choper un suspect. Qui a une chance sur deux d’être le coupable. Alors on contemple le gus à travers une vitre sans tain. S’il ment, on le relâche ; s’il craque, on le coffre. Ce qui est dommage, car alors le flingue se retrouve en chômage technique. Heureusement, le menteur ne perd rien pour attendre, vu qu’il finira par se faire flinguer dans quelque entrepôt désaffecté à l’angle de la 32ème rue ouest de Paris. Quant au gars qui craque, on ne voit pas bien pourquoi il craque. Pourtant, on s’y attendait. Ne serait-ce que parce qu’il a dit “ vous n’avez pas de preuves “, ce qui est déjà en soi un aveu ; ensuite parce qu’on a besoin d’un surimi à goût de vérité. Raison pour laquelle le malheureux enchaine : “ bon, d’accord, je vais tout vous dire “ Et il le fait. Auquel cas on ne peut plus le flinguer. On retombe dans la série élitiste. Heureusement, on découvre qu’il n’a avoué que pour couvrir quelqu’un d’autre. A moins que son avocat n’obtienne une remise en liberté sous caution. Revoilà le gars dans la nature. On va pouvoir le flinguer. Parce que les interrogatoires, c’était juste pour noyer le poisson. Donc le flingue.

Le happy end est introduit pas “ chef, on a logé le suspect : il se trouve dans l’entrepôt désaffecté à l’angle de la 32ème rue ouest de Paris. C’est là qu’il planque la drogue (variante : les femmes séquestrées ; variante : le gosse kidnappé) “. “ OK, on y a“, dit le chef en agrippant son holster et en vérifiant son chargeur d’un claquement sec. Alors ils y vont, flingue au bout des bras tendus, progressant de côté, l’œil vigilant et pan, paf, crac, boum, les méchants changent de mémento. Problème réglé. Et pas d’enquête sur ce carnage, vu que, un, ce sont les bons qui canardent, que deux, les trépassés étaient des méchants et que trois l’enquête serait forcément confiée aux policiers. Donc aux flingueurs. De sorte que les bons se retrouvent entre eux au sortir de l’entrepôt et comme ils ont de l’humour – en dépit de de quelques divergences -, ils échangent des plaisanteries chaleureuses. Connivence soulagée, arrêt sur image, cependant qu’en bas de l’écran on nous annonce un nouvel épisode. Qui sera le même que le précédent.

Moi, ce qui m’intéresse là-dedans, c’est la notion d’enquête. Dans les séries pas élitistes, l’enquête est facile, puisqu’on a les réponses avant les questions. A la limite, vous cliquez “assassin“ sur Google et vous obtenez la tronche du méchant, son nom, ses empreintes digitales et son profil ADN. Pour le back ground, voyez Wikipédia. De sorte que chacun devient un chercheur tout trouvé. Trouvé par l’information qu’il cherche. Et du coup, on n’a plus à s’interroger sur le petit détail qui cloche et ne chiffonne que Columbo. Ou Braïloïu. Ou Coirault. Ou Delarue. Et quelques autres que maint gilet jeune a besoin de finkielkrautiser, pour le remplacer par un imbécile plus télégénique. Et donc moins télégênant. Avant de revenir à l’essentiel : la pub.