Ethnotest
“The world is a stage, the stage is a world of entertainment”
Epistemologix
Je me suis inscrit à un stage de danse celte.
De danse bretonne, en fait, mais il faut savoir qu’en Ecosse et en Irlande, c’est très proche, comme danse, puisque c’est celte. Alors qu’en Auvergne ou en Suisse, c’est des Celtes aussi, mais moins purs ethniquement. De sorte que le chouchen est plus celtique que le chocolat ou la truffade.
En dro, c’est celte. D’abord parce que le pas est exactement celui de la scottish, danse celte par excellence, comme son nom l’indique. Ensuite parce que le mouvement de bras en « enroulé-déroulé » vient des Vénètes, Celtes marins-pêcheurs. C’est le geste par lequel ils lançaient et ramenaient les filets, m’a-t-on expliqué. Effectivement, ça explique. C’est rassurant. Il faut conserver sa pêche à la danse.
Pour la gavotte de l’Aven, les garçons se mettent une main près de la sacrolombaire, attitude dont on ne m’a pas dit à quoi elle renvoyait. Ça serait des Bigoudens, on miserait sur la coxalgie. Mais là, ça évoquerait plutôt le gars qui s’assure qu’il a toujours son lardeuss dans la poche arrière. A l’origine sans doute par peur des pickpockets, qui comme le terme le suggère, étaient des Anglo-saxons. En tous cas, ça s’attaque pointe tendue, la gavotte de l’Aven. Ce qui montre bien que le ballet classique a des origines celtes (d’ailleurs le mot ballet vient de balan, appellation celtique du genêt).
Les instructeurs, c’est des compétents. Ils sont tombés dedans quand ils étaient petits (dès 2010 au moins) et en sont ressortis à temps pour faire d’exigeantes études sur le sujet. Du coup ils ont le droit d’être péremptoires. Ils le sont d’ailleurs. Alors on leur fait confiance. C’est sécurisant d’être sous la férule du savoir, nous qui n’en avons pas. Ce qu’ils nous enseignent est tellement intéressant, qu’on a envie d’en apprendre plus. D’approfondir. Ce fut mon cas. Mon erreur, ça a été d’aller pour cela à la Cinémathèque de Bretagne et au Centre de Recherches Bretonnes et Celtiques (CRBC). Parce que là, ils ont des films d’enquête, réalisés au lendemain de la Libération, où on voit danser des paysans et des marins-pêcheurs. N’y allez pas ! Ça va vous casser des pères noël ! Ça va vous révéler que le mouvement de bras d’en dro n’a rien à voir du tout avec l’“enroulé-déroulé “ qu’on vous a inculqué. Et que la gavotte de l’Aven s’attaque du talon. Les mains, on se les met où on veut, sauf sur le postère, façon fesse-noz.
Va-t-on alors remettre en cause les stages de danse celte ? Renoncer à l’“enroulé-déroulé“ des Vénètes et aux pointes du ballet ? Sûrement pas ! Ce qu’il faut comprendre, c’est que les danseurs traditionnels connaissaient mal la danse traditionnelle. Faute d’avoir suivi des stages. Normal, pour des paysans et marins-pêcheurs. Ces gens-là, souvent analphabètes, sont restés à l’écart de tout, engoncés dans leur ignorance. Or pendant ce temps-là, la tradition a évolué. A leur insu. En fait, la tradition, c’est pas vraiment eux. C’est plutôt nous. Parce que la tradition, si vous n’y mettez pas du djembé, de la clave, du groove et du clapodium à tubulure, c’est le musée. Donc le contraire de la tradition. La preuve, c’est les frères Morvan. Tout le monde vous dira qu’ils sont emblématiques de la tradition. Et l’on comprend donc que voilà des gars qui n’ont pas hésité à mettre du rap dans le kan ha diskan, à le métisser à du bulgaro-roumanovaque, à syncoper la gwerz, à planer dans l’impro et à substituer aux pièces traditionnelles des morceaux de leur propre composition. Histoire de retrouver loin des sentiers battus les itinéraires rêvés d’une tradition inventée.
Vous voyez ce que je veux dire ? Tant mieux. Ça ne vous convient pas ? Tant pis.