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Des mondes de musiques

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Ethnotest

Histoire naturelle

Epistemologix

Pendant des millions d’années, quand deux huitres se rencontraient, elles se disaient à coquille entrouverte : “tu n’as pas changé du tout“. “toi non plus“, répondait l’autre.

 

Elles ne faisaient pas là assaut de politesse : il est de fait qu’elles n’avaient pas changé. Bien sûr, elles n’étaient pas à l’abri de problèmes physiques et certaines étaient sujettes à l’intrusion de corpora aliena, dont leur organisme se défendait en les enrobant de concrétions donnant naissance à ce qu’on n’appelait pas encore des perles, sortes de calculs assez handicapants pour le mollusque, mais enfin la mer n’a rien d’un long fleuve tranquille.

Or voilà qu’un jour, l’une des deux huitres avait changé : elle était devenue un merlan. Le merlan est vulnérable, mais sa mobilité le tient hors de portée de l’huitre. L’huitre aussi est vulnérable, mais elle sait se barricader. Le regard que le mollusque et le poisson posaient l’un sur l’autre n’était plus le même qu’avant. Mais enfin, ils ont cohabité quelques millions d’années. Ils ont eu beaucoup d’enfants, mais pas ensemble. Les poissons se diversifiaient en maquereaux (avec leurs morues), dorades et autres bars, les plus hardis se risquaient en eau douce, le saumon flirtant avec la truite, tandis que notre mollusque prenait des vacances à Oléron, à Cancale ou à Belon, où il filmait femme et enfants (en super-huitre, à l’époque).

Or voilà qu’un jour deux poissons jusque-là très amis s’aperçurent que l’un d’entre eux était devenu grenouille. La grenouille est amphibie : elle pond dans l’eau, mais peut en sortir pour se balader sur la terre ferme, où le poisson ne saurait la suivre. En revanche, le poisson peut bouffer les œufs de la grenouille chaque fois qu’elle en pond. En tous cas, le monde comportait désormais à la fois des huitres, des poissons et des grenouilles. Et ça a duré quelques millions d’années.

Or voilà qu’un jour un couple de grenouilles dut se séparer : l’une des deux était devenue un lézard. Pas l’autre. Ce fut donc la fin de leur vie commune. Car le lézard préfère le soleil à l’eau, où il n’a plus besoin d’aller. L’eau, il la stocke autour de son embryon, à l’abri des poissons ovo-phages. Et pendant quelques millions d’années, le monde vit se côtoyer des invertébrés, des amphibiens, des poissons et des reptiles. Sauf qu’on ne les appelait pas encore comme ça.

Or voilà qu’un jour où deux lézards lézardaient tranquillou, l’un des deux s’envola et alla se percher sur un arbre. Et bien que cet arbre ne fût pas généalogique, notre lézard volant se rebaptisa oiseau, pour montrer qu’il avait de la branche et pour se démarquer de papa. Ce fut la fin de l’idylle entre reptiles. Car l’oiseau eut des petits, qui devinrent parfois assez gros pour se tortorer des poissons, des grenouilles, voire des petits lézards. Lesquels en grandissant devinrent des crocodiles enclins à bouffer des oiseaux, tant qu’il n’était pas nécessaire pour cela de grimper aux arbres. De sorte que le monde juxtaposait alors des mollusques, des poissons, des amphibiens, des reptiles et des oiseaux, en un joyeux chacun pour soi.

Jusqu’au jour où un quelconque animâle s’aperçut que sa compagne était dotée d’une poitrine attractive, ce qui la rendait ipso facto mammifère. Il le devint à son tour – et à sa façon, car le mammifère mâle est atrophié de la poitrine (il compense par ailleurs). Pendant quelques millions d’années, les mammifères batifolèrent à quatre pattes (et à un seul dos), puis à deux pattes (et à deux dos), jusqu’à devenir homo – appellation qui à l’époque englobait aussi les hétéros (car homo, on le sait aujourd’hui, signifie “pour tous“).

Pour se reproduire, l’homo devint erectus et joua quelque peu avec le feu, tandis que sa femme partait découvrir l’Europe, l’Asie et l’Amérique, elle qui était au départ arabica – comme le café qu’elle allait cultiver quelques millions d’années plus tard, au néolithique, dans son pays d’origine. Cette Africaine s’appelait Eve. Son mec, on ne sait pas. Peut-être Adam. L’homme moderne est l’aboutissement de tout ça. La femme aussi.

L’homme est omnivore. Il bouffe aussi bien des huitres que du merlan, du crocodile, des oiseaux. Plus divers mammifères, pas forcément de son espèce (si l’on excepte quelques missionnaires). Et Cro-Magnon, en tant que Français, ne répugne pas à déguster des grenouilles. Tout cela cohabite sur notre planète, y copule, s’y entretue et s’y dévore, l’homo allant jusqu’à dépouiller les huitres de leurs calculs maladifs, rebaptisés perles, pour s’en faire des colliers (car la perle ne reste maladive que dans les copies d’élèves).

Du mollusque au sapiens, il s’est écoulé deux milliards et demi d’années. On appelle ça l’évolution. Avant, rien que du minéral, puis du végétal. Et des acides aminés. Mais à terme, on a le Discours de la méthode et les Concertos brandebourgeois. Il faut seulement faire gaffe à une chose : l’évolution n’a pas éliminé les huitres. Ni les poissons, ni les grenouilles, ni les lézards, ni les oiseaux. Ni les insectes, dont je n’ai pas parlé. Certains ont seulement bifurqué d’avec papa et pendant que sapiens rédigeait le Discours de la méthode ou composait les Brandebourgeois, le chimpanzé a acquis des “caractères dérivés“. Notamment le knuckle walking – ce qui est étonnant chez un animal qui n’a aucune notion d’anglais. Cela dit, à la date où j’écris, cet animal n’a encore rien écrit ou composé.

En fait, l’évolution n’a renouvelé qu’en conservant. Ni les sauts basques ni le kost er hoëd n’ont répudié le branle double et le trihory, retrouvés bien vivants dans l’enquête ethnographique. Et il est quand même extraordinaire d’observer que tous les animaux, y compris l’embryon humain, ont toujours les fentes branchiales des poissons, alors qu’elles ne jouent plus aucun rôle chez personne. Chez personne que je fréquente en tous cas. Même pas chez les danseurs de branle ou de trihory.

Quant à savoir si l’homme a encore une queue et à quoi il l’utilise (ou pas), si l’on repère chez beaucoup de nos contemporains des grenouilles de bénitier, des requins de studio, des têtes de linotte, des moutons dociles, des vieux cochons, des chiens-chiens à su-sucre et des singes savants, je laisse la question ouverte. Vous me connaissez, j’ai horreur de la médisance.

C’était notre quart d’heure culturel. Une prochaine fois (si Michel Serre ne reprend pas la rubrique), nous aborderons deux points particuliers, qui vous éviteront d’être recalés à l’examen de fin d’année. Le premier, c’est le métissage. Il existe. Mais il n’est possible qu’à l’intérieur d’une même espèce. Que Cro-Magnon ait fauté avec Neandertal – ne jugeons pas, ça ne nous regarde pas -, c’est sûr. Neandertal, vous lui enfilez un smoking, vous l’envoyez au festival de Cannes, il va vous grimper les marches sur ses pattes de derrière, en arborant le sourire de l’ange de Reims. Et au buffet, il va liquide le caviar sans que personne ne lui demande ses papiers. Parce qu’à Cannes, il n’y a pas que Scarlett Johansson. Il y a Depardieu aussi.

Alors Scarlett, elle peut se métisser avec qui elle veut, mais pas avec son berger allemand. Pas plus qu’avec un cheval ou un espadon : contrairement à une idée naïve, ça donne rarement des sirènes ou des licornes. Vous me direz, on voit des ânes se métisser avec de l’anglo-normand. Ou l’inverse (le cœur a ses raisons). D’accord, mais le mulet est stérile. Le bardot aussi (demandez à Brigitte). Quant à greffer des nibards sur un monsieur ou un service trois pièces sur une dame, ça peut combler certaines aspirations, mais ce n‘est plus vraiment du métissage.

Et le deuxième point particulier, c’est la substitution. On peut remplacer un poisson par une perruche. Ou une fille par un cheval. Mais dans ce cas, on ne peut plus parler d’évolution. Certains le font. Ils ont tort.

Ce second point est très important. Mais comme je ne veux pas que le lecteur s’essouffle à me suivre, nous laisserons ce point de côté.