ERIC STEFANELLI
Une vie à 5 cordes
Textes Hommages à Eric Stefanelli par Dominique Maroutian & Gérard De Smaele
Eric Stefanelli est disparu brutalement tout récemment. Sa passion, entre autres ; le banjo. Ses styles … presque tous du bluegrass à l’old time jusqu’au classic banjo, plus rare. Il ne faisait pas qu’en jouer, il en fabriquait de magnifiques. Une personnalité attachante aux multiples talents.
Le banjo Eric l’a rencontré dès l’enfance par son grand père, un bourlingueur qui animait les fêtes avec son quatre cordes, un instrument dont Eric héritera. Plus tard il se mettra au folk comme bien de ses amis, les années 70 sont fastes pour cette musique. Comme bien des banjoïstes il fera ses premières armes sur un Framus, pratiquement le seul qu’on pouvait trouver sur le marché. Le voilà bluegrasseux et donc dans un groupe qui tourne dans la région de Nice d’où il est originaire.
Eric, Patricia son épouse et Marc Dalmasso, un ami de toujours
Parallèlement à ses activités musicales en 1977, il devient apprenti facteur d’orgues et découvre les secrets des bois de lutherie. Puis il se tourne vers la fabrication d’instruments anciens : luth, guitare baroque, … Il est l’un des premiers à s’intéresser au style dit classic banjo dont il possède un enregistrement du virtuose Van Eps. Il joue de la musique Old Time accompagné par une fiddler de Dijon région où il s’est installé. Fasciné par les vieux banjos de la période victorienne, il fait l’acquisition d’un vieux banjo de 1882. Puis, grâce à l’American Banjo fraternity, il découvre tout un répertoire qu’il déchiffre sur partitions. Banjo accordé en sol do sol si ré avec des cordes en boyaux et nylon, il joue avec son épouse Patricia des valses, des ragtimes, des cakewalks, … Concerts, voyages au Japon, c’est une riche carrière qu’il parcourt en passionné, abordant tour à tour la philosophie, la musique traditionnelle japonaise, la calligraphie dont il devient un expert. (Photo avec Patricia et Marc) Il commence en 2000 un parcours de facteur de banjos et vend ses fabrications jusqu’aux États Unis.
Banjo par ERIC STEFANELLI
Il approfondit encore sa connaissance de la musique Old Time avec de nombreux concerts et bien des rencontres avec des musiciens traditionnels. Avec un « fiddler » Rhys Jones et son épouse il anime des sessions de square dance, contradances et clog à Chicago, Milwaukee, Ohio. Là Eric découvre le style du Midwest très différent des styles des Appalaches.*
Toujours pratiquant le classic banjo, il est invité avec son épouse à jouer durant un mois en Chine où ils font salles combles.
De nombreux voyages et tournées en Europe d’autres groupes avec Charly Caugant viendront compléter cette carrière très riche. Plus tardivement le voilà qui s’attelle au banjo quatre cordes dit « plectrum ». En 2015 son épouse développe une maladie qui la prive de l’usage normal des ses membres. Eric poursuit ses interventions en animant le dernier festival « Autour du Banjo » en 2019.
Tous ceux qui l’ont rencontré témoignent de sa gentillesse et de son ouverture d’esprit malgré une très riche carrière, unique en son genre, il est resté modeste, toujours curieux avide de découvertes. Sa disparition très brutale a rendu orphelins outre sa famille, tous ses amis et connaissances. Salut l’artiste !!
ERIC STEFANELLI
Pour en savoir plus un bel article de la revue Jam Hall : CLIC
Eric Stefanelli par Gérard De Smaele
Dans le paysage musical français, Eric Stefanelli (1956-2024) était une personnalité originale et très attachante, dont le talent était reconnu dans le domaine de la lutherie et du banjo à cinq cordes, mais aussi dans celui de la calligraphie japonaises ; une culture qu’il avait -suite à de nombreux voyages- fini par connaître de l’intérieur. Après avoir pratiqué le bluegrass style, il se convertit dans les années 1990 au banjo dit ‘classique’[1]. Ayant côtoyé les meilleurs, tels que le virtuose Clarke Buehling, l’écossais Rob Mac Killop et l’américain Jody Stecher, on le retrouvera à l’American Banjo Fraternity, à la Old Town School of Folk Music de Chicago, et même jusqu’en Chine où il donnera, accompagné de sa femme Patricia, plusieurs concerts. N’ayant pas produit de disques, c’est sur ‘You Tube’ et sur le site - https://classic-banjo.ning.com - qu’ensemble ils posteront de nombreuses vidéos, très appréciées dans le cercle restreint des vrais connaisseurs. En dépit d’un récent revival de ce style de jeu style, sachant que le finger-style banjo est un art difficile , cette musique qui connut une vogue aux Etats-Unis et en Angleterre durant les années 1870 à 1920, passera de mode, tout en laissant son empreinte sur la musique traditionnelle de Sud des USA.
Tout ce qu’Eric touchait devenait beau. Il laissera derrière lui le souvenir d’un homme affable qui aimait profondément la vie, les êtres, les animaux, la nature, le travail bien fait. La voie qu’il s’était tracée n’était pas celle de la facilité. Il se levait d’ailleurs fort chaque matin pour entamer de longues journées de travail et faire face aux implacables réalités économiques de son métier. Ceci sans jamais céder aux appels de la complaisance, car il n’avait de cesse d’expérimenter de nouvelles pistes à propos des banjos qu’il fabriquait pour ses clients et amis, fuyant la routine d’une production en série.
ERIC STEFANELLI avec Robert MacKillop - https://robmackillop.net
Pour ma part, c’est en 2002, durant le montage de l’exposition ‘Banjo’ pour le MiM de Bruxelles, que le pilote d’Air France et luthier, Philippe Revel, m’avais mis en contact avec lui, à une époque où le banjo classique était encore si peu répandu en France. Eric avait une belle collection de cylindres, de 78 tours et de machines pour les faire tourner. Il aimait partager ces trouvailles avec son public, comme celui de la ‘Banjoree’ de Hagen, en Allemagne en 2007 Il s’était rendu avec son matériel et aussi un superbe ‘Van Eps Recording Banjo’ : une relique, certes peu courante en France, avec son projecteur de son et sa peau découpée d’une rosace. C’était aussi un fin restaurateur à qui on pouvait confier de belles pièces. Il finira par nous surprendre en se montrant tout à coup avec un banjo plectrum en main.
Banjo Van Eps des années 1920. Coll. Stefanelli. Photo: G. De Smaele, Banjoree de Hagen, 2007.
L’année suivant notre rencontre, répondant à l’invitation des Stefanelli , mon épouse et moi-même étions allés leur rendre visite quelques jours à Courcelles, un petit village de Bourgogne, en Côte d’Or. Après avoir parlé à cœur ouvert et entendu de passionnantes histoires, ce fut la découverte d’un magnifique atelier. Cette expédition nous laissera un souvenir impérissable.
C’est un être très cher qui nous a quitté beaucoup trop tôt. Il laissera derrière lui le souvenir d’une vie accomplie, celle d’un homme qui aura travaillé à cultiver son talent, tout en concrétisant ses passions. L’exemple d’une existence réussie. Merci Eric.
[1] Voir: Gérard De Smaele, The Wayne Adams Old ‘Classic’ Banjo Collection: CLIC [livret de notes en libre accès - version Fr et EN - version courte et longue]