Dave Evans
figure emblématique mais discrète du folk anglais, nous a quittés.
Etienne Bours
Les Dave Evans ne manquent pas en ce monde mais il nous manquera, depuis ce 4 avril, celui qui fut, sans aucun doute, le plus discret d’entre eux. Si l’on se contente de parcourir la sphère des musiciens et chanteurs, rappelons que The Edge de U2 s’appelle Dave Evans, que le premier chanteur d’AC/DC s’appelait Dave Evans… ajoutons David Evans, historien du blues et par ailleurs bon chanteur et guitariste de cette musique qu’il aime et défend et encore un musicien de bluegrass du même nom. Ca nous fait un Irlandais, un Australien et deux Américains. L’Anglais de la liste sera désormais définitivement absent et ce après une vie durant laquelle il a fait peu de vagues et n’a pas cherché à imposer son étonnant talent.
Et pourtant ! Une rapide recherche dans mes archives (livres et piles de revues spécialisées en anglais et en français) et je ne trouve rien sur ce personnage que nous avions appris à apprécier ici en Belgique. Dave est né à Bangor au Pays de Galles, il a fait divers métiers en Angleterre et a fréquenté une école d’art. Il est devenu spécialiste en céramique, a donné des cours de poterie et de guitare. Mais il ne se sent pas particulièrement doué pour l’enseignement. Par contre il aime la guitare et le chant à une époque, fin 60-début 70, où le folk anglais s’ébroue avec force. Dave Graham, John Renbourn, Bert Jansch et Wizz Jones sévissent déjà sur cette scène en ébullition. Martin Carthy s’impose aussi. D’autres sont présents, à la fois chanteurs et guitaristes, auteurs et compositeurs : Michael Chapman (toujours en activité aujourd’hui), Al Stewart, John Martyn… et encore Goldon Giltrap, Steve Tilston, John James et Pete Berryman (et je ne cite guère tous les Américains de l’époque). Le jeu de Dave n’échappe pas à ce milieu ; il est invité à jouer à Bristol (au Bristol Troubadour) puis Tilston lui propose de le joindre sur son premier disque.
De fil en aiguille, il s’installe à Bristol, devient résident au club et enregistre son premier disque sur le label Village Thing ( The words in between) – nous sommes en 1971. Il compose ses propres chansons et quelques instrumentaux franchement brillants. Mais il reste discret et devient un de ces guitaristes et chanteurs parmi d’autres quoi que très apprécié de quelques amateurs qui ne s’y trompent pas. Dave Evans continue sur sa lancée et enregistre plusieurs bons albums : Elephantasia en 72, Sad pig dance en 74, Take a bite out of live en 76. En 1979 sort le très beau disque Irish reels jigs hornpipes & airs arranged for the guitar and featuring Davey Graham, Dave Evans, Duck Baker & Dan Ar Bras. Nous sommes alors dans un moment où la guitare s’octroie quelques lauriers et un plus large public dans le mouvement folk. Nombre de disques sortent accompagnés de tablatures. C’est à cette époque également que l’on voyait beaucoup Stefan Grossman sur nos scènes européennes.
C’est dans les années 70 également que Dave Evans débarque en Belgique, vraisemblablement dans un atelier de poterie. Mais son jeu de guitare n’échappe à personne et son charme séduit une jeune belge. Il n’en faut guère plus pour rester au plat pays. Dave va bientôt mettre un de ses nombreux talents au service des amateurs de guitares ; il sera réparateur d’instruments chez Hill’s Music à Bruxelles et va également fabriquer quelques guitares étonnantes que divers musiciens lui commandent. Pierre Bensusan lui aurait d’ailleurs commandé une guitare harpe de 23 cordes. La scène belge est suffisamment éveillée et invite Dave dans certains clubs et festivals ; on le voit également à cette époque au sein du groupe flamand Bloempataat. Mais c’est seul sur scène qu’il s’impose vraiment, fin guitariste aux compositions audacieuses et chanteur on ne peut plus agréable.
Nous allions, souvenir ému, jusqu’à perdre un peu de notre fric pour le programmer en de petits lieux improbables où il gagnait quelques nouveaux fans étonnés de ce qu’on pouvait faire avec six cordes. En 1977, il joua en première partie de Steeleye Span à la Maison de la culture de Namur. On avait l’habitude de le voir en de petites salles très conviviales qui le mettaient sans doute à l’aise. Mais là, face à un public plus vaste, il paraissait loin sur cette scène (et pourtant la salle n’était pas immense !), il avait manifestement le trac et nous l’expliqua en jouant son superbe titre Stagefright : « Stagefright is what’s happening right now, here » dit-il alors au public avant d’entamer cette prouesse de picking avec un délié et une souplesse qui étouffèrent vite sa peur du moment.
Ce week-end de Pâques, Dave a quitté ce monde et ses amis, il avait semble-t-il 80 ans. Il nous reste à écouter ses disques dont Ian A. Anderson a réédité en CD l’intégralité de The words in between plus cinq titres de l’album Elephantasia sur le label The Weekend Beatnik/Rogue Productions.
C’est l’occasion d’écouter ses chansons qui décrivent des personnages qu’il a rencontrés et observés. Il peut s’agir d’une vieille voisine qu’on ne voit quasi jamais, d’une sorte de clochard infirme, d’une pin-up du quartier, du chat de Steve Tilston… des scènes et personnages de la vie quotidienne dépeints et chantés avec poésie.
Je dédie cet hommage à Dave Evans à ses amis Fritchou Dawans et Lorcan et Kieran Fahy.