Aller au contenu
En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies notamment pour réaliser des statistiques de visites afin d’optimiser la fonctionnalité du site.
Des mondes de musiques

 En lisant avec gourmandise les articles de 5planètes.com, vous pouvez écouter Canal Breizh, en cliquant sur le logo.

 

 

 

 

 

 

 

Daniel Thonon

Le maître de ses passions.

Philippe Krümm - Photo d'ouverture : Daniel Thonon et une de ses vielles -Photo Collection D. Thonon

Dans la campagne Québécoise, on rencontre des personnages particuliers.

Daniel Thonon est de ceux-là. Une vie de voyages, de musique et de lutherie. Quelques questions à Monsieur Daniel Thonon.

 

 

 le groupe Montcorbier avec Nicolas Boulerice, Olivier Demers, Daniel Thonon – photo collection Daniel Thonon

D’où viens-tu ? (J’adore ce genre de questions…)

D’origine belge, né en 1949, je suis arrivée au Québec en 64. J’y suis resté 5 ans, puis après j’ai passé 3 ans Genève pour des études musicales, ensuite 10 ans à Annecy... Puis retour au Québec avec des passages au Costa-Rica ! La vielle, je la rencontre vraiment à Annecy. J’étais copain avec René Zosso,

René Zosso, photo Dany Gignoux

https://crmtl.fr/ressources/pleins-feux/entretien-avec-rene-zosso-et-jean-paul-rigaud/ : Clic

Pierre Imbert... Je fréquentais les gens du folk-club la Chanterelle à Lyon. Puis quand je suis revenu au Québec, j’ai rencontré Yves Steinmetz, lui aussi d’origine Belge (26 mars 1943/16 oct. 2011) qui est devenu mon meilleur copain. 

Yves Steinmetz – Photo la Voix de l’Est

C’était un ami de Claude Flagel. Je jouais dans un groupe de musique renaissance quand on s’est rencontré. Ensemble on a même créé le premier festival au Québec autour de la vielle : vielles et cornemuses en 79/80, qui est quelque part l’ancêtre du festival : Chants de Vielles.

Yves Steinmetz

L’écrivain-voyageur et la vielle, Hommage !

Yves Steinmetz est un personnage flamboyant, écrivain-voyageur, né en Afrique, il fut entre-autre un des fondateurs du festival de la chanson de Granby au Québec. On lui doit 9 romans. Musicien, dessinateur, horticulteur, luthier...Il fut le premier à fabriquer une vielle sur le territoire québécois.

 Dessin Yves Steinmetz – Collection privée

Sur la scène de Chants de Vielles, en juillet 2011, Yves Steinmetz livre un discours émouvant. Extrait :

« J’ai eu la chance d’être la cheville entre Claude Flagel et Daniel Thonon. Je crois que c’est Daniel Thonon qui a permis à la vielle de se disperser au Québec, et toute l’Amérique du Nord à embarquée là-dedans (Rires du public) ...

Je ne veux pas avoir l’air triste mais c’est mon dernier Chants de Vielles. L’an prochain je serai réduit en cendre, peut-être on me rependra ici...Tiens ce serait amusant ...On ne dit pas « Oh ! non ! ».  On fait comme moi, on en rigole (Applaudissements)

Parce que l’homme le plus heureux sur la terre est celui qui sait, quand il va mourir, de quoi il va mourir et qu’il n’a qu’à jeter un petit regard derrière lui pour voir ce qu’il a semé. Et quand il a le bonheur de voir que beaucoup de personnes ont fait germer ses semences, il peut partir heureux et c’est pour cela que je suis heureux ... » (Applaudissements nourris).

Né à Likasi le 26 mars 1943, Yves Steinmetz décédera 3 mois plus tard le 16 octobre 2011.

 

Une première rencontre marquante avec la vielle ?

À l’exposition universelle de Montréal en 67, Le gars Jules et la Marie avaient trouvé un boulot dans une crêperie Bretonne ! Ils jouaient en costume berrichon. 

Pochette de disque du Jules et Marie

C’est mon premier contact avec la vielle à roue mais pas tout à fait, car gamin, je jouais au jeu Electro, c’étaient des fiches avec des images. Tu avais une sorte de crayon et si tu touchais la bonne définition il y avait une sonnette et une lumière pour signaler que tu avais trouvé la bonne définition, et là dans les instruments, va savoir pourquoi, il y avait une vielle à roue !

 

La fiche avec la vielle du jeu Electro.

Et une autre anecdote marrante : mon père Robert Thonon était pianiste de jazz. Il avait un cabaret littéraire : « la Poubelle » sur la Grand-place à Bruxelles. Il faisait passer des artistes comme Léo Ferret, Barbara...Il y a quelques années, je retourne en Belgique, mais avant, je passe voir mon père en Haute-Savoie. Je lui dis que je vais voir Claude Flagel. Il me dit : « Ah ! Claude Flagel ! Il imite le geste de tourner la manivelle d’une vielle en faisant une caricature de son : Gna ! Gna ! Gna ! » Il connaissait bien Flagel qui avait travaillé pour lui à la Poubelle. Il accueillait les gens en chantant et jouant de la vielle. Je devais avoir 8 ans, je ne me souvenais plus, mais voilà peut-être le premier vielleux que j’ai vu.

 

Claude Flagel – Photo : Le chant du Monde

Tu as un solide cursus musical et pour la lutherie ?

Au conservatoire j’ai fait des études de clavecin. Je n’avais pas les moyens de m’acheter un clavecin, car ça coutait déjà une fortune à cette époque. Je suis allé à Paris, rue de Madrid, voir les instruments au musée du Conservatoire. À l’époque le responsable des clavecins était un québécois : Hubert Bédard. (né le 28 décembre 1933 à Ottawa et mort le 17 juin 1989 à Brignoles), il était claveciniste, organiste, restaurateur et facteur de clavecins.

J’ai travaillé avec lui pour la restauration des clavecins. J’ai beaucoup regardé, appris, mais je me suis pas mal planté aussi. J’ai fini par m’en faire un complet mais qui n’a jamais fonctionné (rires). Puis un deuxième et finalement j’en ai fabriqué une dizaine. Je faisais de la musique du Moyen Âge avec un groupe : le Concert dans l’Œuf.  

Comment passes-tu du clavecin à la vielle ?

Au début, je jouais sur une Pajot que mon copain Yves avait acheté sur le marché aux puces à Bruxelles. Lui, il s’était fabriqué la sienne, alors, j’ai décidé de m’en faire une. On avait passé un accord, moi je lui apprenais à faire des clavecins et lui il m’apprenait à faire des vielles. Puis quand j’ai formé le groupe Ad Vielle que Pourra. https://youtu.be/z91WZ1MzH5I?si=spTIcIhuRS-4dmBM CLIC

C’est devenu difficile de me concentrer sur la fabrication, car on a beaucoup tourné pendant 10 ans. Mais quand il y avait des petits creux, je faisais quelques vielles pour répondre à des commandes. Oh j’ai même fait des vielles pour Pink Floyd !!!

Raconte !

C’était leur dernière tournée. Ils avaient répété à Toronto. Ils étaient venus visiter le Musée des beaux-arts de Montréal. Il y avait une exposition sur Léonard de Vinci. J’ai des amis qui jouaient dans un groupe renaissance ou j’avais joué avant. Ils avaient fait un programme musical spécial Léonard de Vinci. Les Pink Floyd ont vu le concert et donc entendu et vu une vielle que j’avais fabriqué.

À la fin du concert ils ont demandé au vielleux ou il avait trouvé son instrument. Il leur a précisé que j’étais un luthier au Québec mais que je vivais dans la campagne.

Il me téléphone et il me dit « Je suis avec un groupe de musiciens anglais qui seraient intéressés par tes vielles, est-ce que je peux venir avec eux ? ». Pas de problème, je les invite le lendemain matin pour un déjeuner. Après avoir raccroché, il demande des précisions au gars « Alors vous êtes musiciens, vous êtes venu pour jouer à Montréal ? » « Oui on joue au stade olympique, si tu veux venir ? » ... Il lui donne des billets : C’était Pink Floyd (en 1977 ils ont attiré 80 000 personnes. Un record pour le stade Olympique : Roger Waters, Syd Barrett et David Gilmour.

https://youtu.be/pKcKxuLXi2U?si=JWVuW0ekDIJdZCrT CliC

 Tu à fait quoi comme type de vielles aux Pink Floyd?

3 vielles : Baroques modernisées, plates.

 

Daniel Thonon et une de ses vielles – Photo DR

Tes premières vielles ?

J’ai fait quelques copies mais sinon c’étaient des modèles originaux. On aimait bien avec Yves donner des noms à nos vielles. Ma première c’était : la lessiveuse.

Tu es un grand curieux ?

Oui ! C’est comme pour le jeu, quand tu as commencé tu veux tout essayer. J’ai pratiqué beaucoup d’instruments du moyen âge, des claviers : clavecin, clavicordes... Des vents, des flutes, des bombardes... Un peu de tout, mais pas nécessairement pour en faire un commerce, surtout pour le plaisir.

J’ai des vielles au Québec au musée des civilisations, en Acadie et aussi une vielle plate de style un peu gothique dans le cadre d’une exposition les luthiers du Canada. https://www.museedelhistoire.ca/cmc/exhibitions/arts/opus/opus234f.html

 

Vielle « baroque » faite par Daniel Thonon – Photo Daniel Thonon

La toute première ?

Ma première vielle fut fabriquée au Québec en 1979, mais Yves (Steinmetz) en avait déjà fait une à Granby (Québec).

Il a fait aussi à la vielle, la musique pour le film de Bruce Beresford : « Robe noire » en 1991

Tes dernières fabrications ?

Une cithare viennoise, je voulais jouer la musique du troisième homme (rires) https://youtu.be/PatFHj6WBbw?si=uedJ02W9jfL6IpZd

J’ai tout arrêté pour des problèmes de santé. Je joue toujours un peu pour le plaisir au piano. J’ai abandonné le baroque au clavecin maintenant j’aborde Chopin, un répertoire que je n’avais jamais travaillé auparavant. Chez moi, c’est toujours un musée instrumental. Une année à Chants de vielles j’ai fait un kiosque ou j’avais deux tables d’instruments. J’ai quasiment tout vendu. Mais quand je suis revenu chez moi, on ne voyait même pas la différence... (Rires)

As-tu été jusqu’à la Vielle organisée ?

J’y ai pensé très fort (rires). J’ai fait des orgues portatifs, un orgue de barbarie

Mais je ne me suis jamais lancé dans une vielle organisée

Tes créations avaient souvent des formes particulières ?

J’ai essayé toutes sortes de choses, mais principalement dans les formes, pas dans la structure.

Que penses-tu de la facture de vielles contemporaines ?

Je dois dire que tout ce qui sort ces temps si - Je vais passer pour un vieux con - Je trouve que cela va un peu trop loin même si cela sonne bien.

Comme les instruments de Wolfgang Weichselbaumer. Ce sont de superbes instruments, mais je ne suis jamais allé dans cette direction.

Wolfgang Weichselbaumer testant une de ses vielles – Photo DR

J’aimais réaliser des instruments originaux mais surtout par la forme... Puis j’ai fini par en avoir marre. Ici et en France ce n’est pas pareil. En France si tu veux apprendre à jouer il y a quand même plein de gens et d’endroits dans tous les styles. Ici non !

Ils s’imaginent qu’il suffit d’acheter une vielle pour être vielleux ...et ...grosse déception, la vielle est un instrument complexe et exigeant. J’ai passé des mois à prêcher auprès de mes élèves qu’une vielle ça commence par s’accorder et se régler. Là j’avais l’impression de parler une langue étrangère. C’est comme quand tu insistes sur le coton, sur les cordes, là, tu pars dans un monde que beaucoup ne comprendront jamais.

Un jour un gars, pour qui j’avais fait une vielle me téléphone : « Ma vielle ne fonctionne pas ! » « Tu as changé les cotons ? » « Je suis à l’aéroport, j’arrive dans une heure ». Il vient me voir, de Nashville !! Au bout de deux minutes de réglage et de coton sa vielle fonctionnait parfaitement.

 Il ne suffit pas d’avoir une vielle et de s’acheter un beau chapeau pour être un joueur de vielle. Ces temps-ci on voit plus de porteurs de chapeaux que de bons vielleux

Tes fabricants références ?

Il y en a plusieurs, en contemporain il y a Jean-Claude Boudet, dans les historiques on cite souvent Louvet, mais je n’ai jamais été impressionné par sa lutherie. J’aime les vielles qui ronflent.

Vielle Chef-d’œuvre par Jean-Claude Boudet – Photo Philippe Krümm

Pour toi une bonne vielle ?

Des chanterelles bien présentes et des bourdons qui enveloppent bien le tout. On peut également penser aux Pajot, Cailhe-Decante Nigout... J’aime bien cette facture-là.

 

Patrick Bouffard et sa Nigout historique ( ex Bernard Blanc de la Bamboche) en compagnie de Jonas Thin cornemuse du centre – Photo Philippe Krümm

------------------------------------------------------------------