Alan Stivell
L’enchanteur de sons
Philippe Krümm - Photo ouverture Jean-Baptiste Millot
Une des passions d’Alan Stivell, c’est de passer du temps, beaucoup de temps, dans son studio pour travailler, peaufiner, ciseler… chacun de ses morceaux.
Quand il est à sa table de mixage et sur ses machines c’est une foule d’idées qui germent, presque à chaque accord, dans la tête de ce passionné toujours à la pointe de la technique. Quand il se décide d’arrêter cela donne un nouvel album : Human-Kelt. 25 disques en 50 années de carrière, un beau score. Rencontre au bar d’un grand hôtel, forcement dans le quartier Montparnasse à Paris, avec un des pères du revivalisme de la musique celtique et de l’avènement de la « world music ».
Photo : Jean-Baptiste Millot
« Deux chocolats, s’il vous plait ! C’est l’heure du gouté »…
Merci Alan ! Le rendez vous commence bien.
« Alors tu vas m’interviewer sur un disque que tu n’as pas écouté ? »
Et si ! Car Valérie, l’attachée de presse de PIAS, ta maison de disque, m’a transféré tous les morceaux.
Mais la première question est posée par Camille (Chargée de communication pour le Festival Au Fil des Voix pour lequel Alan fera l’ouverture à la Cigale à Paris le 4 février 2019)
« Comment une voix corse arrive sur votre disque ? » - Il faut dire que Camille est Corse. (NDLR)-
Lea Antona, je l’ai connu, d’une drôle de manière, par le « Premier Ministre Corse » : Gilles Simeoni. Je lui ai posé la question « Si vous aviez une jeune chanteuse corse à me recommander : jeune et corse pour évoquer la passerelle entre les générations, entre nations et entre continents comme avec Fatoumata Diawara. Et il m’a fait connaître Lea Antona.
Tu aimes de plus en plus le travail de studio ? Ton nouvel album est très produit ?
J’ai toujours beaucoup travaillé sur mes productions. Mais oui, là j’ai encore passé plus de temps, car je ne m’étais fixé aucune limite ! Aucun compteur ne tournait, cela aurait pu durer 3 ans ou plus.
Pour celui là combien de temps ?
Je ne calcule plus. Il n’y avait pas de compteur. (Rires) Mais je n’ai jamais de ma vie, passé autant de temps en mixage. Ce qui ce passe, et pour d’autres aussi j’imagine, quand je suis en mixage, il y a plein d’idées qui m’arrivent et je me dis que si l’album était sorti à la date prévue il y aurait mille choses qui ne seraient pas dans cet opus.
Photo : DR
Il y a non seulement un énorme travail de mixage, de remix, de sampling mais surtout un nombre impressionnant d’invités, très très différents ?
Je n’avais pas prévu, au départ, de faire un album de duos, mais c’est arrivé comme une évidence. En pensant à un morceau, par exemple : REFLET que je n’avais pas enregistré depuis les origines en 70. Là, je me suis dit que ce serait sympa de le refaire et pourquoi pas chanté : « anglais /français ». J’ai pensé à Murray Head.
Bob Geldof ?
Pour chaque thème j’ai une ou plusieurs idées, quand j’ai pensé chanter en anglais, je trouvais intéressant que ce soit quelqu’un d’autre. Murray Head puis Bob Geldof au début de l’album c’est surtout la notion humaniste qui prédomine : le monde sans frontières…Du coup Bob Geldof m’est apparu comme une évidence, un beau symbole…Il y a des intuitions qui se révèlent bénéfiques. Et donc je démarre sur un aspect humaniste.
Camille - (23 ans) nous demande « Qui est Bob Geldof ? »)
(Rires d’Alan) : Mais que font les profs ? Pas les profs de musique maisLes profs d’histoire contemporaine ils devraient parler de ces très grands concerts contre la faim dans le monde… L’Éthiopie…Avec des stars internationales, et Bob a été le grand chantre de ces évènements.
Cabrel ?
Je ne rejette aucune culture. Je ne suis pas un anti-français primaire. J’ai toujours fait des passerelles avec toutes les cultures. Je ne vais pas m’en interdire une avec la France et la culture française. Francis représente la chanson française sauf que je le fais un petit peu bifurquer, parce que je le fais chanter en français mais aussi en occitan. Pour la première fois il chante en occitan.
On est vers la francophonie mais aussi vers l’occitanie comme c’est un album qui fait un peu le tour de mes voyages je me disais « j’ai chanté dans de nombreuses langues celtiques. C’est une chose mais les peuples de l’hexagone c’est important, aussi je me suis dit l’occitan, deuxième langue aborigène de France (rires) doit être sur l’album qui est aussi chanté en corse, en catalan …
Pour moi cette réflexion sur les peuples et les langues est d’actualité… Depuis 65 ans ! Mais c’est dans les actualités télévisées françaises depuis deux ans pour les Catalans. Pour la Corse un peu plus, mais la Catalogne c’est récent…Et donc j’avais des choses à dire la dessus.
Fatoumata Diawara?
C’est le pendant de Bob Geldof parce que tu as DEN1 et DEN 2 qui veux dire la personne humaine en breton. Du coup tu as les deux versions : la passerelle entre la Bretagne et l’Afrique en Bambara et pour Bob c’est une autre forme d’universalité où là c’est l’anglais la langue internationale. Ces deux déclinaisons sont importantes car Fatoumata c’était aussi une femme d’une jeune génération chantant dans une langue africaine : une autre passerelle.
Photo : Gael Kerbaol
Human – Kelt : Le titre de l’album ?
Ça m’énerve un petit peu d’entendre ou de lire des débats sur le thème de l’identité, des rapports entre le masculin et le féminin et cela depuis des décennies. J’ai envie de dire quelques évidences souvent oubliées la dessus, que l’on n’est pas forcement Corse ou Français mais d’abord un être humain. La chance que l’on a en langue celtique - On a des infériorités mais aussi des supériorités par rapport au français car le français à un énorme handicap avec d’énormes ambiguïtés sur les thèmes de l’identité -
C’est un truc un peu bizarre que l’on n’a pas encore psychanalysé : pourquoi les français jettent un flou avec leur langue sur le thème de l’identité ? Du coup les gens peuvent se bagarrer énormément sur ce concept. Alors que dans la langue celtique tout est plus clair, plus simple, en tout cas sur ce thème on a un mot pour dire la personne humaine qui n’est ni masculin ni féminin c’est universel après on peut parler de l’homme et de la femme. Le problème de féminiser des noms ne peut pas ce poser, c’est féminisé depuis le néolithique.
On ne peut pas percevoir une chose péjorative dans un nom féminin. Le mot DEN qui vient avant toutes choses puis le mot KELT car effectivement il va de soit que ma passion celtique est ma passion dominante. C’est le cheval de bataille de toute ma vie.
Ça inclut ma « bretonnitude » mais qui est quand même un ensemble celtique, car la Bretagne n’existe pas sans la langue bretonne, mais la Bretagne n’existe pas sans la celtie sans les autres pays celtiques. C’est ce que je rappelle depuis toujours et que j’affirme encore dans ce disque et je le rappelle tellement souvent que ça pourrait énerver certains (rires).
Sur scène ce sera comment ? Tu ne peux pas avoir tous tes invités ?
La scène ou le disque c’est toujours diffèrent. Sur le premier concert je ferais une sorte de compromis. Quand les gens arrivent et s’assoient, on passe KELTICA après il y a le titre CETU qui est le premier du disque. Une sorte de medley où on entend tous les invités donc tous les « guest » sont là de manière virtuelle et petit à petit la salle se remplit et petit à petit on arrive sur scène et on fini par jouer complètement. Mais je sais que l’on aura des concerts avec la présence de certains invités en « live ».
Photo : DR
Et tes harpes, Elles évoluent ?
Toujours un peu. Je vais en avoir une nouvelle pour les concerts à venir et pour le Festival au Fil des Voix (rires). C’est la petite sœur de l’actuelle qui a trois ans. C’est Tom Marceau, à coté de Rennes, qui au départ est facteur de basses et de guitares électriques qui la fabrique. La première fois je lui ai demandé une réparation… Puis une harpe !
Cette fois on a changé les 34 piezos graf tech. On y croyait beaucoup, mais ce n’est pas l’idéal pour la harpe. Ce sera toujours des piezos mais d’une autre série. Plein de petits détails évoluent, mais je reste sur les même jeux de cordes qui sont l’aboutissement de longues années de tests. Il m’est arrivé d’avoir deux harpes sur scène, mais maintenant je me présente avec une seule. Même si ce n’est pas une grande harpe de concert, je ne vais pas en amener six ou sept en tournée. Je ne fais pas comme certains guitaristes qui ont plusieurs instruments : Une classique, une électrique, une folk, une électro-acoustique, un dobro… (Rires). Moi, Je dois faire tout avec un seul instrument.
(Sur l’album HUMAN-KELT on y croise, hors les musiciens d’Alan : Bob Geldof, Francis Cabrel, Claude Sicre, Fatoumata Diawara, Lea Antonia, Andrea Corr, Claude Lemesle, Murray Head, Yann Tiersen, Carlos Nunez, Angelo Branduardi, Vincenzo Zitello, Donal Lunny, Ar vreudeur Morvan, Joanne Mac Iver, Julian Cuvilliez, Glenmor, Stornoway congrégation, Catrin Finch, Una ni Fhlannagain et l’orchestre symphonique de Bretagne…)
Une dernière question. Mais que fait le parolier Claude Lemesle dans ton album ?
Presque rien. Il dit comme une sorte de Haïku pour parler de nos 50 ans de vie commune avec Marie-Josée, texte qui se retrouve au centre de l’album le 10ème morceau sur les 20.
Site Alan Stivell : http://w.alan-stivell.com/
Sortie de Human – Kelt distribution PIAS le 26 0ctobre 2018